« Une exploitation agricole est encore souvent en France “une affaire de famille”.  Les transmissions successives d’un patrimoine économique mais également de savoir-faire et de valeurs professionnelles inscrivent les générations entre elles dans une temporalité longue. La reprise d’une ferme peut peser lourd sur les épaules du successeur, devenu “chef d’exploitation”, en termes de dette à payer au re­gard de l’histoire familiale.

 

Pour lever l’angoisse “de ne pas être celui qui va fermer le livre”, le repreneur doit s’autoriser à affirmer son autonomie professionnelle. Les évolutions techniques ne suffisent pas à changer l’identité commune aux générations qui se succèdent. Une communication active tournée vers l’extérieur avec ses pairs (réunions et implication professionnelle, partages d’expérience…) aide à se forger une individualité, affranchie du regard des ascendants. Cela n’exclut pas d’entretenir un dialogue constructif avec parents et grands-parents. L’épouse peut aider à cette verbalisation, rendue parfois difficile­ par la confusion des places professionnelle et familiale de chacun dans une sphère où famille et métier interfèrent­ en permanence.

Se projeter par anticipation dans la place du cédant peut générer des craintes prématurées sur le choix du “bon repreneur”. Une vie familiale ancrée dans le présent va alléger ce jeu incessant d’obligations. Il est important de partager d’autres valeurs que celle de l’exploitation avec ses enfants, en étant à l’écoute des goûts de chacun (sports, jeux, vacances…). Cette implication parentale autorise de fait une identité différente de celle du professionnel, si passionné soit-il.

Accueillir des apprentis, recevoir des lycées agricoles, communiquer avec les moyens modernes (internet, réseaux sociaux, YouTube…) permet d’agrandir la famille professionnelle et de transmettre son savoir-faire. Voire de créer une ouverture potentielle et d’impliquer des jeunes hors cadre familiaux en cas de désengagedment de ses propres enfants. »

Propos recueillis par Monique Roque Marmeys