Depuis le 1er juillet, Sophie et David Thulliez, éleveurs de bovins allaitants à Coigneux, dans la Somme, proposent des massages en plein champ. Sur leur ferme du Rossignol, située à un kilomètre du village qui compte cinquante habitants, une esthéticienne réalise ainsi des soins de modelage durant une heure et demie dans les prés. Mise en ligne depuis le 15 juin, la prestation réalisée en partenariat avec la plateforme France zen fait un carton. Elle est combinée à une visite de trente minutes de l’exploitation. L’ensemble est facturé 190 euros pour deux personnes. 30 % reviennent aux agriculteurs.
L’afflux est tel que Sophie Thulliez, adhérente au réseau Bienvenue à la ferme, doit refuser du monde : « C’est impressionnant, commente-t-elle. Nos voisins nous prennent pour des fous. Mais si vous vous tenez un tant soit peu à l’écoute des “nouveaux” touristes, vous savez que c’est ce dont ils ont besoin. » Se déconnecter est le maître mot de l’été 2021. Après des mois de restrictions sanitaires, citadins et ruraux entendent s’accorder du bon temps au contact de la nature. Dans cette redistribution des cartes, le tourisme à la ferme tire son épingle du jeu.
La ferme, une destination en soi
L’agritourisme coche, en effet, toutes les cases. Car si les Français souhaitent se mettre au vert, ils recherchent aussi « des expériences et des rencontres authentiques, reprend Sophie Thulliez. Nos clients veulent que nous racontions notre métier. Avant, ils s’en fichaient. À 80 % de nationalité anglaise, ils séjournaient chez nous pour visiter la région. » Aujourd’hui, la ferme est devenue une destination en soi. « Les familles qui louent nos gîtes souhaitent participer à notre travail. Ils ont envie de comprendre nos pratiques et d’où vient ce qu’ils mangent. Ils ont à cœur aussi de se rendre utiles. » Ces familles ou ces couples viennent bien souvent de la région. « La plupart voyage dans un rayon de trois-quatre heures maximum de chez eux, observe Éloïse Reillard, à la tête de l’agence de voyages “Nos chères campagnes” (lire ci-contre). Parmi nos clients, une famille des Vosges séjournera, cet été, dans le sud de son département : elle veut redécouvrir le coin par le prisme des agriculteurs. C’est une façon aussi pour elle de limiter son impact écologique. »
Cours de yoga et travaux agricoles
La santé et la planète sont devenues des préoccupations majeures. Alors se relaxer, mais aussi faire du sport tout en apprenant à s’alimenter et consommer durablement, à côté de chez soi, au contact des agriculteurs voire des animaux apparaît aujourd’hui comme la formule idéale de vacances réussies. Le niveau des réservations en atteste. Au sein des réseaux Bienvenue à la ferme et Accueil paysan, des Gîtes de France ou d’Airbnb, les voyants sont au vert.
Les agriculteurs se sont adaptés aux nouveaux profils : ils rivalisent d’ingéniosité pour les satisfaire. En Seine-et-Marne par exemple, des éleveurs d’une quinzaine de fermes se sont associés à Agrolife, une entreprise du Val-de-Marne qui propose aux citadins des séjours d’immersion à la ferme. Les clients les aident sur leur exploitation, ils suivent également des séances de sophrologie et de yoga.
« Ce qui est flagrant, reprend Éloïse Reillard, c’est ce besoin en informations quasi scientifiques de la part des touristes. Les agriculteurs férus d’agronomie, notamment, peuvent y répondre. C’est ce qu’ils font. Nous avons mené un repérage au cœur de l’Aubrac il y a une quinzaine de jours et fait la rencontre de la coopérative fromagère Jeune montagne. Elle propose des visites à la ferme avec éleveur et guide botanique : ils font le lien entre les plantes ingérées par les bovins et les différentes productions. » Les « randofermes » ont également la cote. L’association Au cœur des paysans propose, entre autres, des circuits de randonnées partout en France, avec des visites d’exploitations agricoles tout au long du chemin.
Parce que les agriculteurs n’ont pas toujours de temps de se consacrer à leurs visiteurs, certains ont trouvé la parade grâce au numérique. À Champignol-lez-Mondeville, dans l’Aube, le domaine de L’empreinte des fées recourt à des tablettes pour des jeux immersifs et interactifs à travers les champs et les vignes. Une chasse au trésor, baptisée Biodynamix, qui donne l’occasion de découvrir le terroir en s’amusant est également proposée aux enfants.
Réalité augmentée et énigme
Les escape game ou jeux d’évasion, qui s’appuient sur des énigmes à résoudre, trouvent leur place également à la ferme (lire p. 42). Ils sont souvent l’occasion de rentabiliser des espaces peu utilisés. Sur celle de Meulemans, à Saint-Jean-des-Échelles dans la Sarthe, le jeu permet aussi de valoriser les produits de la ferme familiale : l’énigme consiste à retrouver la recette secrète des rillettes du grand-père Jean.
D’autres agriculteurs parviennent à attirer par un atelier crêpes au milieu des champs. La fabrication de yaourts à la ferme trouve aussi son public. Ces expériences répondent à la tendance du « faire soi-même ». C’est auprès des exploitants que ces savoir-faire sont aujourd’hui les plus recherchés.
Nourrir les bêtes, les traire, mais aussi les soigner font également partie des demandes. L’office du tourisme de La Ferté-Bernard, dans la Sarthe, propose en nouveauté, cet été, de partir à « la découverte du fonctionnement du monde agricole ». Dans toute la France, des agriculteurs offrent la possibilité de vivre une expérience de moisson à leur côté (www.moissoneuse.fr).
Du bien-être animal aux abattoirs, du champ de blé à la fabrication du pain en passant par les pesticides, toutes les questions sont susceptibles d’être abordées à travers ces activités. « J’essaie de les devancer, note l’agricultrice, Sophie Thulliez. J’adore mon métier et, ce dont je m’aperçois, c’est qu’avec des explications sincères, les touristes comprennent nos pratiques. En matière d’herbicides par exemple, ils s’aperçoivent souvent qu’ils recourent à des volumes nettement plus élevés que les miens, au prorata de la surface traitée. »
Mieux se vendre
Côté hébergements, les bulles transparentes, les cabanes perchées et les roulottes au milieu des champs sont les plus courues. Pourvu que le réveil se fasse de concert avec celui de la nature. L’entreprise bretonne Agrivillage loue depuis cette année aux agriculteurs des « tiny house », des maisons mobiles en bois à installer à la ferme. Seule obligation : consacrer en échange une heure et demie de leur temps à ceux qu’ils hébergent pour faire découvrir le métier.
En résumé, le catalogue de l’agritourisme 2021 n’a jamais été aussi audacieux et volumineux. Pourtant, la demande est telle que, tant en matière d’hébergements que d’activités, l’offre ne parvient pas à la satisfaire. Ce qui signifie aussi qu’il y a de la place. Un bémol : si les exploitants communiquent plus facilement sur leur métier, « en termes de marketing, du chemin reste à faire », reconnaît l’éleveuse Sophie Thulliez. « L’ancienne génération a pu développer une activité sans grande conviction, parce que située sur la route des vacances ou à proximité d’un site touristique, constate Éloïse Reillard, fille d’agriculteur. Nombreux peinent à en dégager un revenu intéressant par rapport au temps consacré. Trois euros pour trois heures de rando commentées, ce n’est plus possible. Sur le marché de l’agritourisme, je vois arriver des personnes extérieures au monde agricole qui, avec une plus grande confiance en elles, parviennent à développer une stratégie gagnante sur de petites structures. Les exploitants ignorent encore trop souvent la richesse qu’ils ont entre leurs mains. » Pour la spécialiste, la formule idéale, hors hébergement, consiste à proposer un accueil, puis une activité payante, en autonomie, à la ferme. Rosanne Aries