Choisir ses noix sera bientôt un acte engagé. Les 5 000 producteurs français principalement répartis dans les bassins périgourdins et grenoblois vendaient déjà leurs fruits à coque quelques dizaines de centimes plus cher grâce à la qualité supérieure garantie respectivement par une AOP et une IGP. Dans quelques mois, si les nuciculteurs français ne rognent pas sur leurs revenus, les consommateurs devront payer encore davantage pour acheter leurs produits. La faute à l’accord commercial conclu fin juillet 2025 entre le président américain Donald Trump et la Commission européenne.

« Quand Trump a brandi son ultimatum avec des droits de douane prohibitifs visant les produits européens importés aux États-Unis, nous avons commencé à travailler sur des mesures de rétorsions sur le secteur agricole avec le ministère des Affaires étrangères », raconte Christian Nagearaffe, président de l’Association nationale Noix de France. Si après négociations, la présidente de la Commission européenne obtient une baisse de la barrière tarifaire à 15 %, celui qui préside aussi le Comité interprofessionnel de la Noix de Grenoble comprend que l’UE s’est mise à rédiger des textes qui ne vont pas ravir la filière.

« Des mesures d’accompagnement décidées à Bruxelles instaurent ici une suppression pure et simple des droits de douane européens sur les fruits à coques américains. Sur un contingent de 500 000 tonnes, nous devons passer de 4 % à 0 % sur les noix à coque, et de 5,1 % à 0 % sur les cerneaux, tout cela avec un accès facilité au marché, soupire Christian Nagearaffe. La compétitivité française et européenne en prend un coup, nous devrions perdre 10 centimes du kilo. C’est scandaleux, nous avons été sacrifiés par l’Europe. »

Accord douanier avec les États-Unis : les produits agricoles ne sont pas exemptés (22/08/2025)

Compétition illégale

Pour Fabien Joffre, président de l’organisme de défense et de gestion (ODG) Noix du Périgord, « impossible de répercuter ce nouveau différentiel sur le consommateur final qui ne l’acceptera pas ». Lui-même producteur de noix en Dordogne, il se dit « en colère » avec « le sentiment qu’on sacrifie l’agriculture au profit des voitures allemandes ». « Nous demandons à l’État d’être cohérent avant tout. On ne peut pas nous demander en permanence des pratiques toujours plus favorables à l’environnement tout en proposant une égalité tarifaire face à des produits moins contraints et moins qualitatifs. La compétition est clairement illégale », poursuit-il.

Deuxième verger de France réparti sur près de 28 000 hectares, le noyer français voit en moyenne 50 % de sa production annuelle exportée vers les pays européens limitrophes, où ils « sont en concurrence directe avec les États-Unis », observe le président de l’association nationale. Il souligne par ailleurs que la guerre commerciale entre l’administration Trump et la Chine a considérablement freiné les échanges entre les deux pays, chacun devant trouver de nouveaux débouchés pour ses fruits à coque : « C’est un jeu de chaises musicales qui se joue et sur lequel nous n’avons aucune lisibilité. Le marché européen risque d’être inondée par la noix américaine », deuxième production mondiale à hauteur de 600 000 tonnes par an, abonde-t-il.

Les États-Unis ne sont pas les seuls à concurrencer la noix "en coque" française sur le marché européen. « La présence de noix chiliennes et de plus en plus de celles des pays de l’Est comme l’Ukraine, la Roumanie et la Moldavie pèse sur la filière française à l’export, souligne Christian Nagearaffe. Notre faiblesse est surtout marquée par des coûts de productions plus élevées, dont la partie "cassage" de coque en cerneau, le tri manuel et la part trop importante de "déchets" qui nous pénalisent. »

Espoir d’une application au printemps 2026

Face à l’instabilité politique et à un gouvernement démissionnaire, Christian Nagearaffe indique être sans aucune nouvelle des ministères des Affaires étrangères et de l’Agriculture malgré une missive envoyée il y a quinze jours. « Nous ne savons pas dans quelle mesure l’UE va pouvoir compenser tout ça. Nous sommes simplement spectateurs, à faire remonter des choses en espérant être entendus, mais nous ne sommes même pas sûrs que la Commission européenne en tienne compte. On se rend compte que la France ne pèse plus du tout », souffle le nuciculteur de Montmiral, dans le Nord Drôme.

Les mesures d’accompagnement supprimant les droits de douane doivent encore être présentées au Parlement européen, puis validées par la Commission, ce qui pourrait retarder quelque peu l’entrée en vigueur des nouveaux tarifs douaniers. Christian Nagearaffe espère que le délai ne permettra une application des mesures « qu’au printemps, de manière à sauver au moins cette saison pour nos producteurs ». Après les aléas climatiques des dernières années qui ont fragilisé certaines exploitations, la filière française est convalescente mais « remonte la pente » en affichant des perspectives solides pour la récolte 2025. 40 000 tonnes de noix sont attendues cette saison.