Basé dans la région de Kherson, dans le sud de l’Ukraine, Igor Brahinets subit de plein fouet les effets du changement climatique. « Il y a vingt ans, cinq ou six arrosages étaient suffisants pour une bonne récolte. Aujourd’hui, le temps est tellement sec qu’il en faut plutôt dix », regrette l’agriculteur, qui cultive surtout des céréales sur 1 750 hectares. À la hausse des températures et au manque d’eau s’ajoutent des événements climatiques extrêmes : en juillet, dans son secteur, les exploitants ont beaucoup perdu à la suite de violentes intempéries.

« L’Ukraine est un des pays d’Europe où l’impact du réchauffement climatique est le plus important, car l’agriculture représente une part non négligeable de l’économie nationale », analyse Mykola Shlapak, un expert indépendant. Le secteur emploie plus de 22 % de la population et génère près d’un dixième du PIB.

L’irrigation à la peine

Les agriculteurs cherchent des parades. Igor Brahinets bénéficie, quant à lui, d’un réseau d’irrigation construit sous l’Union soviétique, qui irrigue 80 % de ses parcelles. Mais faute d’entretien et d’investissements, seuls 600 000 ha de terres arables ukrainiennes disposent d’un système d’irrigation fonctionnel, contre 2,6 millions à l’époque soviétique.

Pour ceux qui dépendent seulement des précipitations ou de l’eau souterraine, il faut être créatif­. Dans le petit village de Velykyi Klyn, à 60 km au sud de Kherson, la ferme familiale d’Andriy Shchedrinov possède un petit réservoir. Mais, rempli d’herbes hautes et d’arbustes, il est aujourd’hui hors d’usage, après des années d’abandon par le précédent exploitant et, surtout, par l’État qui en est le propriétaire. « Il a fallu trouver nous-mêmes des solutions pour ne pas disparaître face aux sécheresses intenses », explique l’agriculteur de quarante-six ans. Comme beaucoup, il est passé à des cultures d’hiver et aux techniques culturales simplifiées sans labour sur ses 2 000 ha.

« On n’est pas aidés »

Au milieu des champs de pastèques typiques de la région, Andriy Shchedrinov mène une expérience sur une petite parcelle de maïs. En partenariat avec l’Académie nationale des sciences agraires, il teste divers arrosages au goutte-à-goutte, indispensables pour continuer à cultiver du maïs. « Toute cette recherche, c’est de ma poche. Pour l’instant, le gouvernement ne nous aide pas du tout face au changement climatique, on doit se débrouiller seuls. »

Les autorités de Kiev proposent néanmoins quelques programmes d’aide à l’achat de technologies d’arrosage et un plan sur l’irrigation est en discussion, mais ce n’est pas assez, selon les experts. Elles travaillent également à l’élaboration d’une stratégie globale d’adaptation au changement climatique jusqu’en 2030. « C’est bien, mais il est maintenant urgent d’adopter des stratégies par secteur, notamment pour aider l’agriculture », martèle Mykola Shlapak. Car si le sud de l’Ukraine est déjà en première ligne, le reste du pays, malgré son sol noir très fertile, risque d’être la prochaine victime du réchauffement. Clara Marchaud