Certains de ce côté de la Manche en rêvent, les Britanniques l’ont fait… ou presque. Le 24 juin 2016, ils ont dit « oui » à la sortie de l’Union européenne (UE) à près de 52 %. Pourtant, sortira, sortira pas ? La question est toujours d’actualité six mois après.

Theresa May, la Première ministre nommée après cette déflagration qu’a été le référendum populaire, dit vouloir activer d’ici la fin mars 2017, l’article 50 du traité européen de Lisbonne qui lance la procédure de divorce.

La négociation étant enserrée dans un délai de deux ans, le calendrier devrait permettre d’acter la séparation avant les élections européennes prévues au printemps 2019. Si on voit mal les Britanniques voter pour des eurodéputés après avoir choisi le Brexit, ce calendrier se heurte au mur des réalités. Mi-novembre, Londres n’avait recruté que 200 des 3 000 experts requis pour ces négociations. Pour Michel Jacquot, spécialiste des questions agricoles, et Daniel Guéguen, spécialiste des nouvelles procédures de décision, deux lobbyistes familiers des arcanes européennes, même l’échéance de fin mars est donc hypothétique. Sans compter les « interférences » européennes avec le référendum intervenu en Italie, les élections aux Pays-Bas en mars 2017, les présidentielles et législatives françaises entre avril et juin, et en octobre, les élections allemandes. D’autres facteurs d’incertitude pourraient aussi jouer les trouble-fête : Récession ? Déflation ? Grexit ? Crise de l’Euro ? Migration ? Sécurité ? Terrorisme ?

Au-delà de ces contingences politiques, le Royaume-Uni va avoir besoin de temps pour écrire les nouveaux textes législatifs qui devront remplacer les textes européens. C’est particulièrement vrai pour la Pac. La politique la plus intégrée de l’UE est assise sur quatre règlements européens que viennent compléter plusieurs centaines d’actes délégués et d’actes d’exécution.

Un budget à compenser

Le doute s’installe. L’article 50 sera-t-il vraiment activé ? Le référendum n’est pas juridiquement contraignant et la décision de quitter l’UE doit être entérinée par le Parlement britannique… pour l’instant majoritairement hostile au divorce. Tout comme l’Écosse, qui pose à nouveau la question de son indépendance. Alors, certains observateurs se disent qu’on pourrait bien faire comme s’il n’y avait pas eu de référendum. Ils s’aventurent même à parier qu’un nouveau vote donnerait gagnant le « non », les Anglais comprenant maintenant les enjeux ! Pendant la campagne pour le Brexit, ils se sont notamment laissé convaincre par Boris Johnson, l’ancien maire de Londres, ou Nigel Farage, l’ex-chef de file du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) qui assuraient, pour faire court, que le marché européen pourrait rester ouvert tout en stoppant l’immigration, et que le budget, qui ne serait plus versé à l’UE, résoudrait tout… Les deux hommes, après avoir reconnu leurs mensonges, se sont « courageusement » retirés des responsabilités !

De son côté, Theresa May, même si elle était favorable au maintien dans l’UE, reste ferme : « La volonté du peuple britannique doit être respectée. » Elle est moins claire sur les modalités du divorce. « Soft » ou « hard » Brexit, une séparation en douceur ou nette et rapide ? Pour Luc Vernet, cofondateur du think-tank Farm Europe, « un seul point semble consensuel : l’ambition de faire du Royaume-Uni la plus grande économie ouverte sur le monde. » Aujourd’hui, les deux tiers des produits alimentaires consommés par les Britanniques sont importés et 75 % de ces produits viennent de l’UE.

Pour la France, les enjeux sont importants en vins et spiritueux, lait et porc « Or, dès lors que les Britanniques décident de vivre leur vie en matière commerciale, leur laisser l’accès total au marché communautaire sera tout simplement inconcevable. L’Europe devra se protéger », estime-t-il. C’est le Français Michel Barnier, épaulé d’une équipe de 50 experts spécialisés, qui a été désigné pour mener cette négociation inédite.

Viendra aussi la question budgétaire. Le Royaume-Uni a toujours été chatouilleux sur ce point. La contribution des Britanniques au budget de l’UE se situe ces dernières années entre 11 et 12 Md€. Bénéficiant d’environ 7 Md€ des fonds européens, il en résulte que le Royaume-Uni est contributeur net au budget communautaire à hauteur de 4 à 5 Md€. Une somme qui devra être compensée par les autres États membres ou, plus vraisemblablement, par une réduction budgétaire.

Quelle que soit la date d’entrée en vigueur du Brexit, le cadre financier pluriannuel prévu jusqu’en 2021 et les mesures qu’il finance, devront aussi être ajustées. Ce qui serait une tâche colossale pour les 27 membres restants de l’UE, et une nouvelle incertitude pour les agriculteurs.