L’actuel PDG de l’Inrae, Philippe Mauguin, devait recevoir les avis de l’Assemblée nationale et du Sénat pour envisager sa reconduction, telle que l’a proposée le président de la République, Emmanuel Macron. C’est chose faite après ses auditions par les deux commissions des affaires économiques le 15 octobre 2024. Ce passage devant les parlementaires est l’occasion de présenter les motivations du candidat et, surtout, de débattre sur les critiques qui lui sont adressées.
L’Inrae est trop éloignée des agriculteurs, font remonter les sénateurs et les députés, regrettant le temps d’une Inra (avant la fusion avec l’Irstea, ex-Cemagref, en 2020) plus présente dans les fermes. Philippe Mauguin reconnaît bien volontiers que l’institut doit être meilleur dans sa communication et plus transparent dans ses priorités de recherche. Il liste des recherches qui relèvent de l’utilité immédiate pour la gestion des exploitations : des nouveaux capteurs d’eau élaborés avec une coopérative de Gascogne qu’il chiffre à un gain de 200 à 300 euros d’économie d’eau par an, un index génétique sur le méthane qui doit sortir l’an prochain, la sélection génomique bovine a permis de gagner 300 à 400 euros par lactation, etc.
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Comment le faire mieux savoir et le lier au revenu agricole ? Philippe Mauguin propose de renforcer les démonstrateurs territoriaux, conduits avec les instituts techniques et, parfois, les coopératives. « C’est là où nous pourrons bâtir des trajectoires de transition parce que les agriculteurs vont devoir affronter des crises multiples, climatiques, sanitaires, géopolitiques, et que l’Inrae devra expliquer que les solutions ne seront pas simples », explique en substance Philippe Mauguin.
Contestation interne
En interne, un collectif de 27 chercheurs s’était manifesté en juillet pour porter une candidature collective à la présidence. Son but était de mettre en débat « l’échec de l’Inrae à transformer un système agro-industriel à bout de course », sous l’influence d’intérêt privé. L'initiative n'était pas tenable juridiquement.
Politisation
L’autre critique adressée au candidat porte sur la neutralité de l’institut. L’attaque vient surtout des rangs de la droite et de l’extrême droite. Le sénateur de la Haute-Loire, Laurent Duplomb (LR), cite la toxicologue Laurence Huc, fortement engagée contre les produits phytosanitaires. La députée du Lot-et-Garonne, Hélène Laporte (RN), regrette carrément « la politisation de votre fonction », reprochant à Philippe Mauguin ses tribunes contre le programme de Marine Le Pen.
Son collègue du RN, Robert Le Bourgeois (Seine-Maritime), explique son avis défavorable en tant que rapporteur « parce que la recherche ne peut souffrir de positions personnelles ». Du côté de la gauche, on voit les choses avec d’autres lunettes : « J’ai plutôt l’impression que ce sont les lobbys qui sont partout, plutôt que les militants », résume le sénateur de l’Ille-et-Vilaine, Daniel Salmon (EST).
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Philippe Mauguin répond : « L’indépendance de l’Inrae est encadrée par la loi. Je dois rendre des comptes comme je le fais en ce moment et ça me va bien. Notre repère, c’est le bien commun. La liberté académique des chercheurs est garantie par la loi, même si on travaille avec des acteurs du territoire. »
En clair, tant que le chercheur ou la chercheuse exprime des opinions personnelles sans entraîner l’institution, le PDG ne peut pas l’en empêcher. Philippe Mauguin cite en exemple le travail de l’Inrae sur les alternatives au glyphosate qui faisait émerger les différents risques économiques pour les agriculteurs : « Nous avons éclairé le débat. »
Budget
Enfin, ces auditions se déroulent la veille de l’arrivée du projet de loi de finances dans le Parlement. Donc, bien évidemment, la question de budget de l’Inrae revient régulièrement. Le matin même, le conseil d’administration de l’Inrae entérinait l’effort immédiat de seize millions d’euros demandé par le gouvernement, sur un budget total de 1,13 milliard d’euros.
Le nombre de postes ouverts au concours a été maintenu ainsi que la trajectoire de rattrapage salarial des chercheurs par rapport aux grands instituts de recherche européen. Issu de la fusion entre l’Inra et l’Irstea (ex-Cemagref) a fait de l’Inrae le troisième institut mondial de recherche agronomique, et surtout le seul à faire le lien entre l’agriculture, l’alimentation et l’environnement. Un travail est en cours pour questionner les priorités de recherche avec de telles contraintes budgétaires.
Et pourtant, alors que la France resserre un peu plus la ceinture, la Chine continue de doubler ses investissements de recherche agronomique. En réponse, Philippe Mauguin voit une piste dans le renforcement des partenariats avec les autres centres de recherche en Europe. Mais Philippe Mauguin prévient : « Même si nous faisons des économies, il ne faut pas désinvestir la recherche en ce moment. »