Comme exploitant à deux charrues, Louis Departout (1720-1800) est un bon laboureur. Au nord-ouest de la plaine de France, il exploite quelque 70 ha sur Ézanville (Val-d’Oise). Jadis maître d’école, il a gardé un goût certain pour l’écriture. Depuis quarante ans, il a ouvert son journal, « divisé par mois portant recette et dépense ». En tant que fermier, il livre souvent son fourrage sur Paris. Il tient donc ses comptes. Lors des événements de juillet 1789, il se trouve dans la capitale pour affaires. Il n’en croit pas ses yeux. Les extraits que nous donnons, dont l’orthographe a été modernisée, en témoignent.
« Le 13 de ce mois, je fus à Paris où j’ai trouvé une confusion horrible.J’y ai vu les Messieurs de Saint-Lazare se sauver de leur maison parce qu’elle était au pillage par la populace. J’ai entré par la barrière de la rue Cadet, faubourg Montmartre, qui brûlait. J’ai fait passer mon cheval avec grand-peine dans les charbons ardents. Plusieurs autres barrières ont subi le même sort. Il n’y avait plus d’entrée à payer. J’ai entré jusqu’à la rue Montmartre où j’ai suivi les boulevards jusqu’à la rue du Luxembourg où j’ai laissé mon cheval chez Monsieur Delalive pour aller faire mes affaires dans Paris. Plusieurs personnes m’ont conseillé de ne pas aller plus loin à cause des attroupements et m’en suis revenu sans rien faire. »
Paris est donc ouvert à tout un chacun : les barrières ont sauté. « Le 14 juillet, environ 3 000 hommes de troupe bourgeoise montaient la garde dans Paris et ses faubourgs. Tous les travaux et commerce interrompus. La Bastille prise d’assaut par ladite troupe qui a pris le gouverneur, sous-gouverneur et trois canonniers, les ont menés en place de Grève et les ont fait mourir, la tête dudit gouverneur portée au bout d’une pique dans les rues de Paris. Le prévôt des marchands de l’Hôtel de Ville a subi le même sort pour n’avoir pas livré les armes. »
« Les peuples ont beaucoup de peine à trouver du pain. Pour en avoir, il faut faire violence. »
Louis Departout retient les tensions des premières journées révolutionnaires : « Le 15 juillet, émotion de l’arrivée des troupes de Versailles. Tout Paris en garde dans son enceinte et autour de ses murs, résolu de plutôt périr que de les laisser entrer. Ils n’y sont pas venus. J’étais encore à Paris ce jour-là où j’ai vu les Suisses se joindre à la troupe bourgeoise et aux gardes françaises pour soutenir le tiers état. À trois heures après-midi, est arrivé à Paris un courrier de Versailles apporter la nouvelle (qui a remis la joie dans le cœur des Parisiens) que le Roy consentait à l’éloignement des troupes assemblées extraordinairement auprès de Paris et de Versailles, et sur l’établissement des gardes bourgeoises, et qu’il n’existait point d’intermédiaire dans ses communications avec la nation. »
Pourtant, la contestation explose à la faveur de la hausse du blé et de la disette.Pour faire sa moisson, il est obligé de fournir du pain à ses « soyeurs », qui coupent les gerbes à la scie. Laissons-lui la conclusion : « Année extraordinaire pour le pain, étant obligé d’en fournir à nos soyeurs. La récolte, passablement bonne, a commencé le premier dudit mois à soyer les seigles et fini de rentrer le 4e septembre. Les peuples ont beaucoup de peine à trouver du pain. Chez les boulangers pour en avoir, il faut faire violence. Que le Seigneur apaise cette calamité, nous en avons grand besoin ! Et que les États généraux qui tiennent de cette année prient Dieu d’en venir à bout ! »