Espoir, impatience et extrême prudence s’entremêlent au sujet de la vaccination contre le virus H5N1 de l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP). « À date, le scénario minimal est la vaccination de tous les élevages commerciaux de canards sur le territoire, au moins pendant la période automne-hiver », a promis le ministère de l’Agriculture, lors d’un échange avec la presse le 28 juin 2023. Néanmoins, l’entourage de Marc Fesneau temporise : « Il reste encore des obstacles à lever. On ne peut pas encore dire qu’on le fera, mais tout est mis en œuvre. »
Négociations budgétaires
La principale pierre d’achoppement est d’ordre budgétaire. Le schéma de financement de la campagne de vaccination n’est pas entériné. Des négociations interministérielles sont en cours dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. Elles concernent le coût de la vaccination ainsi que celui de l’épizootie de 2022-2023. Pour le premier, le montant de 70 millions d’euros circule. « On est dans cet ordre de grandeur », confirme le ministère de l’Agriculture. Une chose est sûre : les filières avicoles devront mettre la main à la poche.
« C’est une demande du cabinet du ministre, confie Marie-Pierre Pé, la directrice de l’interprofession du foie gras (Cifog). On table sur la prise en charge d’une dose de vaccin appliquée sur les deux doses nécessaires. » Pour la responsable, le coût lié à la surveillance post-vaccinale, qui permettra de vérifier l’éventuelle présence de canards porteurs sains de la grippe aviaire, doit être assumé par l’État. « Il est le garant des actes vétérinaires, des analyses et de la traçabilité. C’est aussi un élément de réassurance pour nos partenaires à l’exportation (lire l’encadré ci-dessous). »
En parallèle, l’examen des entreprises ayant répondu à l’appel d’offres pour 80 millions de doses de vaccin – correspondant au scénario minimal de deux applications sur les 40 millions de canards élevés en France – est en cours. « Il sera finalisé au plus tard à la mi-juillet », assure le ministère. Trois vaccins ont déjà obtenu de l’Anses une autorisation temporaire d’utilisation pour les canards : Ceva, Boehringer Ingelheim et Zoetis. L’efficacité des deux premiers a été prouvée lors d’essais menés en France en 2022. Le troisième « était déjà reconnu ailleurs dans le monde, mais n’avait pas de reconnaissance en France ». Quelles que soient les entreprises retenues, « l’appel d’offres prévoit une première livraison de vaccins à compter du 15 septembre, pour un début de vaccination le 1er octobre », rappelle le ministère.
Flou sur le terrain
Du résultat de ces arbitrages dépendra la logistique à mettre en œuvre pour acheminer et administrer les doses. Sur le terrain, le flou règne. « Certains vaccins sont à inoculer au couvoir, observe Benjamin Constant, éleveur dans le Gers et président de la Fédération nationale du foie gras. D’autres sont à injecter en élevage, animal par animal, nécessitant des équipes de vaccination. Or nous avons besoin de savoir comment nous organiser. »
Pour la surveillance post-vaccinale, les éleveurs seront mis à contribution « sur un rythme hebdomadaire », avance le ministère. En sus, le passage d’un vétérinaire est envisagé tous les mois. « Le nombre total de visites pour une année a été estimé à 23 500, calcule le ministère. Le volume d’analyses généré nécessite d’accroître le nombre de laboratoires habilités. »
Dédensification
En attendant le feu vert pour la vaccination, les filières veulent éviter une nouvelle flambée de la maladie. L’accent est mis sur la dédensification des palmipèdes. Dans les 45 communes formant la Vendée dite « militaire », les interprofessions du foie gras et du canard à rôtir (Cicar) se sont accordés pour cesser les mises en place à partir de la semaine du 3 au 9 juillet 2023 et jusqu’en octobre prochain.
« C’est une zone très dense en palmipèdes, plus encore que le Sud-Ouest », justifie Marie-Pierre Pé. D’après Jean-Michel Schaeffer, président de l’interprofession de la volaille de chair (Anvol), « l’objectif est que cette zone soit vide en octobre. Ensuite, des animaux vaccinés seront progressivement mis en place. Il s’agit également de protéger les élevages de reproducteurs. » Là aussi, les filières espèrent être aidées. « Le ministre a annoncé une prise en charge de l’État à hauteur de 80 %, mais rien n’est fixé », s’inquiète Marie-Pierre Pé.
Dans le Sud-Ouest, les mises en place n’attendront pas la vaccination. Les canards à gaver en vue des fêtes de fin d’année gagneront les ateliers de production au plus tard à la mi-août. Un vide sanitaire temporaire, à l’instar du plan Adour mis en œuvre l’an passé, n’est pas exclu cet hiver. « Il faudra peut-être conserver certaines mesures préventives malgré l’arrivée de la vaccination, note Benjamin Constant. Avec ce virus, on n’est à l’abri de rien. »