Zone d’activité économique, surfaces commerciales, établissement scolaire, route, chemin de fer, préservation de zones naturelles… Pour être réalisés, ces ouvrages publics nécessitent de déposséder les exploitants d’une partie de leurs terres en contrepartie d’indemnités.

"La seule et unique personne qui détient le droit d'exproprier, c'est l'État. Mais il peut, et c'est ce qui va le plus souvent faire, déléguer ce droit à une collectivité territoriale, à un établissement public ou à des personnes privées comme les concessionnaires d'aménagement"; observe Charles-Eric Thoor, avocat du cabinet Bignon Lebray et titulaire, pour l'anecdote, d'un BPREA.
Lorsqu'une procédure d'expropriation est ouverte (voir le déroulé ci-contre), le maître d'ouvrage doit réaliser une étude pour mesurer l'impact de son projet sur le foncier et l'économie agricole locale. Il doit confronter son projet au principe "éviter, réduire et compenser".
La compensation foncière reste difficile lorsque les terres du secteur concerné sont indisponibles. Parce que le foncier est une denrée difficilement remplaçable, l'exploitant exproprié a alors tout intérêt à négocier au mieux ses indemnités auprès de l'expropriant.
Négocier et rester offensif
L'expropriant n'aura pas "les clés" tant qu'il n'aura pas désintéressé l'exproprié. L'expropriant adresse alors à l'exploitant sa proposition d'indemnisation. Une négociation s'ouvre. Si le désaccord persiste, une des deux parties peut saisir à nouveau le juge de l'expropriation et c'est ce dernier qui fixera le montant des indemnités.
Par principe, l'expropriant doit réparer tout le préjudice de l'exproprié. "Je conseille, pour les très grosses expropriations, d'investir dans une évaluation par un expert-comptable et dans une évaluation par un évaluateur immobilier. Elles permettent de voir, à l'euro près, quel est l'impact de l'expropriation sur la situation économique de l'exploitant", confie Charles-Eric Thoor.
Les indemnités d'expropriations sont plurielles. Il y a une première indemnité classique correspondant à la valeur vénale du terrain, auquel s'ajoute une indemnité de dépréciation si l'expropriation morcelle l'exploitation. L'exproprié, qu'il soit locataire ou propriétaire, obtient également une indemnité d'éviction.
Il arrive parfois que des protocoles d'indemnisation avec un barème soient conclus au niveau départemental entre la direction des finances publiques et la profession agricole représentée par les syndicats et les chambres d'agriculture. Mais leur portée n'est pas obligatoire et ne peuvent s'imposer au juge.
"En fonction des situations, l'exproprié peut obtenir du juge des indemnités complémentaires, ajoute l'avocat. Ce serait le cas par exemple pour un exploitant qui souhaite construire un bâtiment d'élevage et qui se fait exproprier le terrain d'assiette de son projet, sans avoir de foncier alternatif.
Il peut demander une indemnité complémentaire au titre de l'impossibilité de poursuivre son projet. Ce peut être aussi le cas d'un exploitant qui voit ses parcelles coupées par une voie de chemin et qui l'oblige à faire un détour de 15 km pour y accéder."
Un seul préjudice n'est jamais indemnisable, c'est le préjudice moral. "La justice n'indemnise pas l'émotion en expropriation", constate Charles-Eric Thoor.
Céder la totalité de la ferme
Outre les indemnités, l'exproprié peut également demander d'être exproprié de la totalité, soit d'une parcelle s’il ne conserve qu'un reliquat de terrain enclavé par exemple, soit de son exploitation. Cette possibilité peut être utilisée lorsque l'exploitant considère que l'expropriation le dépossède d'un foncier trop important qui crée un grave déséquilibre économique. L'exproprié pourra ainsi également demander une aide financière de l'expropriant pour financer une nouvelle installation ou une reconversion.