Il est tôt. Très tôt, à l’heure où on retrouve Pascal Prido sur son exploitation. « Ma journée commence par le lever vers 4 h 15. Je fais la traite à 5 h 15 de façon à ce qu’à 8 heures, je puisse vaquer à mes occupations ». Ses occupations ? Tenir la mairie d’un village de 1 400 âmes nommé Le Foeil, et suivre les politiques de l’agglomération de Saint-Brieuc, comme vice-président. L’agriculteur est aussi devenu élu au conseil départemental des Côtes-d’Armor.

Des tâches bien déterminées

La traite des 120 vaches qu’il fait ce matin, « ça me permet de garder un lien avec l’exploitation. J’en ai besoin pour mon équilibre. Retourner un peu les pieds dans les bottes et dans la bouse », explique-t-il, quand des élus peuvent parfois « être déconnectés » de la vie professionnelle.

C’est une habitude à laquelle il ne déroge jamais ou presque. En tant que maire, « parfois on nous appelle en pleine nuit parce qu’il y a des branches sur la route, des chevaux en divagation…, liste l’agriculteur. Alors, il faut que je trouve quelqu’un pour me remplacer ». Dans ce cas, l’un des deux autres associés ou sa femme, salariée à temps partiel, vient le remplacer.

En plus de la traite matinale, le maire a gardé comme mission les travaux dans les champs : semis, épandages d’engrais et traitements phytos. « Quand c’est le jour d’y aller, j’y vais. Les rendez-vous ou les réunions peuvent être décalés au niveau de la mairie, sinon je délègue ». Un avantage : le gros des travaux agricoles se fait début mai, au moment où « les administrations sont quasiment toutes à l’arrêt. Donc c’est assez facile de trouver du temps sur cette période-là » se réjouit l’agriculteur.

« Le plus difficile, ce sont les imprévus, et d’arriver à prioriser les choses. Quand je suis en réunion à la mairie et qu’il y a une vache qui est partie se promener dans la nature… Il n’y a rien de grave mais il faut être présent ! » Et inversement. Les appels de la mairie sur la ferme sont réguliers. « En fonction des besoins, je quitte la ferme pour rejoindre la mairie. Autrement, on essaie de régler ça par téléphone. »

La traite est un incontournable pour l'éleveur. (© J.Mâlin / GFA)

Changement de costume

Il est à peine huit heures quand les dernières vaches du troupeau sortent de la salle de traite. Le temps d’un changement de costume et de grapiller quelques biscuits, Pascal Prido saute dans sa voiture pour sa deuxième journée. Les chaussures de ville remplacent les bottes ; la chemise, le bleu de travail. Arrivé à la mairie à quelques kilomètres de la ferme, il en profite pour déposer du courrier de l’exploitation. La secrétaire l’accueille. On discute dossiers de financement, subventions et espace des jeunes. La réunion de la matinée est consacrée à la rénovation de la salle des fêtes.

Aussi loin que remonte sa vie professionnelle, Pascal a toujours eu un engagement d’élu. Dès la troisième année de son installation, il devient conseiller municipal. « J’ai besoin des deux. Je me suis construit là-dessus. J’ai la chance d’exercer deux métiers passionnants ». Dans un univers agricole parfois solitaire, les fonctions d’élu permettent de « rencontrer plein de gens que je n’aurai jamais rencontrés autrement ! » explique-t-il, reconnaissant.

Une organisation bien rodée

Comment s’organiser avec les deux autres associés pour trouver le bon équilibre ? « Ils sont arrivés en toute connaissance de cause », explique Pascal Prido. Il a accueilli son premier associé en 2015 et le second en 2019. À ce moment, il prenait de nouvelles responsabilités à l’agglomération, libérant du temps de travail pour un troisième associé. Ses fonctions d’élus ont été intégrées dès le départ dans le règlement intérieur du Gaec.

Chaque associé est d’astreinte un week-end sur deux. Les permanences permettent à l’édile de souffler un peu. Et d’honorer ses engagements. De maire d’abord avec les quelques mariages dans l’année, et d’élu départemental pour les inaugurations sur son territoire.

Les fonctions de maire lui sont indemnisées à hauteur de 1 300 € par mois. Avec les indemnités du département et de l’agglomération, il estime pouvoir payer un salarié, mais pas forcément à plein-temps. « Il ne faut pas faire ça pour s’enrichir, on en est très loin ». Car l’engagement prend du temps. Il pense passer un tiers de son temps sur l’exploitation, « un quart » d’un temps plein à la mairie, un autre quart au département et un autre mi-temps à l’agglomération. « Ça fait plus d’un temps complet au final ! » confesse en riant l’agriculteur.

Jongler avec les différentes casquettes

Les quelques journées où il enchaîne les réunions, il mange dans un restaurant à Saint-Brieuc, à une vingtaine de kilomètres du Foeil. Pourquoi celui-ci ? Il sert rapidement. « Si je leur dis que je suis pressé, je peux manger en 20 minutes ! », s’exclame l’édile. La journée est réglée au cordeau. Le maire enchaîne l’après-midi avec une réunion de comité départemental sur les algues vertes dans la baie de Saint-Brieuc. Sur ce sujet sensible, il évite de prendre la casquette d’agriculteur. « Quand je la prends, je précise bien les choses : je suis là en tant qu’élu. Il y a déjà des représentants de la profession ». Pour autant, l’éleveur estime important d’avoir des agriculteurs dans les instances locales pour faire de la pédagogie sur le métier.

« Ca me permet de garder un lien avec l’exploitation. J’en ai besoin pour mon équilibre. Retourner un peu les pieds dans les bottes et dans la bouse » (© J.Mâlin / GFA)

La réunion terminée, l’élu n’aura pas le temps de retourner à la ferme, quand il arrive au Foeil vers 17 heures. À la mairie, des papiers attendent d’être signés. Et une ultime réunion se tiendra à 18 h 30, concluant la journée marathon. « C’est la première réunion avec les élus du conseil municipal pour préparer les prochaines échéances électorales ». L’agriculteur compte se représenter en mars prochain, après onze ans à la tête du village. Prêt à repartir dans ces journées à 100 à l’heure ? Oui, « mais si on peut diminuer à 95, ça sera très bien ! » rigole-t-il avant de repartir vers la mairie.