Au milieu des vastes plaines beauceronnes et des grandes fermes en pierre, un panneau « Nouvelle plaine », un rang de vigne et un chai en bois attirent l’attention. Bienvenue chez Rodolphe Couturier, vigneron beauceron ! Il y a cinq ans, il a été le premier céréalier à oser se lancer dans la viticulture en Eure-et-Loir. « Faisant suite aux aléas climatiques de 2016, je cherchais une culture qui n'est pas sensible aux aléas au même moment que les céréales et pour laquelle je pourrai capter la valeur ajoutée », explique Rodolphe Couturier.
Le jeune quadragénaire, père de deux garçons, aime entreprendre. Après son diplôme d’ingénieur agronome, il part s’occuper de la coopération agricole entre la France et la Palestine. Quand il revient, il effectue des prestations de services informatiques. Finalement, il s’installe en 2006 avec son père sur l’exploitation familiale, à Mérouville. Dix ans plus tard, il s’implique dans de nombreuses organisations : la coopération agricole, Tereos ou encore le CER France Alliance Centre. « J’ai besoin de me remplir le cerveau, de voir des gens… J’aime expliquer aux citoyens ce qu’est l’agriculture. »

Investissement de 300 000 €
En 2016, il n’existe pas de droit à planter de la vigne en Eure-et-Loir. La Pac, qui régule les quantités viticoles de chaque État, ne l’autorise pas. Heureusement, la règlementation change en 2017. Rodolphe doit affronter des tracasseries administratives comme celles des logiciels de FranceAgriMer ou des Douanes ne connaissent pas l’Eure-et-Loir… Mais il reste persuadé que c’est le bon moment pour débuter. « Commercialement, il n’y avait personne. C’est bien pour lancer une marque. Et du point de vue de la production, le changement climatique est une opportunité pour implanter de la vigne ici. Dans les années 2000, le raisin n’aurait pas atteint sa maturité. Aujourd’hui, nous avons assez d’ensoleillement. »
Il commence par suivre 9 jours de formation sur la vinification et par planter 1 hectare en 2018. Il choisit des cépages plutôt secs, comme le chardonnay et le pinot noir, les plante avec un interrang de 2 m pour passer avec un petit tracteur, ajoute le goutte-à-goutte, et les palisse jusqu’à 2 mètres de hauteur. Il s’équipe avec un broyeur neuf et un outil de désherbage mécanique (disque et étoile). L’année suivante, il replante 1,5 hectare, et restaure une vieille grange et la transforme en chai et en magasin de vente.

« Je m’éclate avec le raisin, explique Rodolphe Couturier, désormais vigneron passionné. Quand je suis dans la vigne, pas dans un tracteur, c’est mon moment de plaisir. Je suis en contact avec la nature, les insectes, je prends le temps de bien faire les choses. Dans le chai, on peut faire de nouvelles expériences en vinification. Lors de la vente, les explications aux clients sont gratifiantes. » Sous le nom de « Nouvelle plaine », les bouteilles sont vendues pour moitié à des particuliers, 30 % à des cavistes et 20 % à des magasins de producteurs.
En tout, Rodolphe investit 300 000 euros dans la production et la vinification. La banque le suit facilement. « Le montant de mon crédit correspondait à peu près à l’achat d’une moissonneuse neuve. Sauf que dans mon cas, je produis de la valeur ajoutée », précise Rodolphe. 2023 sera la première année depuis 2018 où son résultat d’exploitation est positif. « Avec la vigne, je connais ma rentabilité. J’ai calculé mon coût de revient et je peux ajuster mon prix de bouteille (10,40 €). Je maîtrise toute la chaîne. Bien sûr, il faut arriver à vendre son vin. »
Vendange manuelle
Pour commercialiser ses grandes cultures, le céréalier travaille principalement avec des coopératives (Tereos, Cristal Union, Axéréal, Ile de France sud). Il vend son blé au cours du jour, une alerte l’informe quand son coût de revient est atteint. Avec le vin, tout est différent. Il passe d’une poignée de clients à plusieurs centaines. Il doit vendre son vin sans indication géographique et ne peut pas afficher sur les bouteilles son innovation beauceronne.
Rodolphe avait opté pour la certification HVE (Haute valeur environnementale), mais il l’a abandonné car il n’avait pas de valorisation pour les cultures céréalières. Sa clientèle s’est faite essentiellement grâce au bouche-à-oreille. Le week-end du 16-17 septembre, il a réalisé sa troisième vendange manuelle. Un jour de fête qui réunira de nombreux ambassadeurs de son vin.