Il lance le pétrin, met en route le moulin au fond de la cour, pèse et façonne les pâtons, allume le four à bois, lance une nouvelle fournée… Les journées d’Amédée Hiault sont bien rythmées. Le pain doit être prêt pour la vente à la ferme à 16 h, puis la distribution à l’Amap de Mer, dans le Loir-et-Cher. Le jeudi et le vendredi sont réservés à « la boulange », impossible de semer ou de moissonner. « Je ne peux pas me permettre de ne pas faire de pain. Il faut une régularité dans la distribution », lance Amédée Hiault, 45 ans.

Blé rouge de Bordeaux
Installé à Lestiou, dans la maison familiale au bord de la Loire, entre Orléans et Blois, le paysan-boulanger cultive 96 hectares en agriculture bio, transforme ses grains en farine et fabrique du pain. « Je ne peux pas supprimer un des trois métiers. Outre la complexité technique que j’apprécie, j’ai trouvé ma place dans le tissu rural. Cela donne un sens à mes activités et m’aide à passer les mauvaises années comme en 2023 », explique le papa solo de deux garçons.
Au fil des saisons, Amédée Hiault a su trouver un équilibre parmi ses trois activités, entre les surfaces cultivées, les temps de la transformation et les investissements nécessaires. « C’est une perpétuelle remise en question », précise-t-il d’autant qu’il tient à préserver cinq semaines de congés par an. Le céréalier a opté pour un itinéraire technique assez simple pour pouvoir se consacrer à la transformation.
Il cultive uniquement du blé rouge de Bordeaux, une variété ancienne qui apporte les protéines nécessaires pour le pain, sans fertilisation. « Je n’ajoute plus de fumier depuis que j’ai pris conscience de l’impact sur l’empreinte carbone. Je privilégie les engrais verts, comme la luzerne et le trèfle », indique Amédée ajoutant avec un brin de militantisme, « il y aurait des milliers d’euros à gagner sur bien des fermes en misant sur l’agronomie et non sur les conseils des commerciaux ». Avec des semences fermières, ses achats extérieurs se limitent au fioul et à l’huile.
Ventes sur commande
Du côté de la meunerie, Amédée a débuté avec un moulin type Astrié de 15 kg/h. Au bout de dix ans, il en a acheté un autre, de 30 kg/h. Ce dernier lui permet d’arrêter le moulin le week-end et d’avoir un équipement de secours en cas de panne, donc moins de stress. Lors de son installation en 2006, Amédée a pris le temps d’aménager lui-même le fournil afin de diminuer les coûts. « Au même moment, l’Amap de Mer s’est créée. Elle m’a garanti 40 kg de pain chaque semaine. J’ai pu aller voir le banquier pour l’achat du four. »

Aujourd’hui, il livre deux Amap et un restaurateur en pain et trois boulangeries en farine. Des circuits de vente pour lesquels il ne trouve que des avantages. « Toutes les ventes sont sur commande, je n’ai aucune perte. Les boulangeries viennent chercher la farine et je peux prendre le temps de discuter avec les clients, de voir leur satisfaction. »
Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Pendant plusieurs années, l’agriculteur vendait entre 50 et 80 kg de pain en un marché, le vendredi soir. Quand sa salariée lui a annoncé qu’elle arrêtait, il a renoncé à ce débouché. « Je travaillais de 5 h à 22 h le vendredi. Je relançais une fournée de 30 kg le samedi, c’était trop physiquement. La santé financière de mon entreprise était excellente, j’ai pu arrêter. » Amédée a deux salariés, deux jours par semaine, pour l’aider (déchaumage, manutention, vente).
« Je pourrais prendre des commandes de restaurants orléanais, mais je me heurte à un problème de main-d’œuvre », déplore le boulanger, qui juge sa production « bien suffisante ». Amédée préfère développer d’autres projets, comme ouvrir un lieu pédagogique autour de l’agriculture, de la biodiversité et du pain, pour « faire vivre des émotions aux enfants » précise-t-il, avec un grand sourire.