Avec sa grande diversité de territoires, la France métropolitaine est tapie d’une riche mosaïque paysagère. Un immense jardin où l’agriculture occupe près de 49 % de l’espace, soit l’équivalent de 249 000 km ². Pour se donner une idée, cela représente un peu plus que la superficie totale de la Grande-Bretagne et de l’Irlande du Nord réunies.

Dans ce jardin à la française, les collectivités territoriales jouent un rôle majeur dans son organisation où l’activité agricole se retrouve en concurrence avec d’autres intérêts, résidentiels, économiques, énergétiques ou d’infrastructures. Elles sont de véritables arbitres de ces enjeux grâce aux différents outils de planification de l’urbanisme qu’elles mettent en place.

Des grandes orientations...

Les schémas de cohérence territoriale (Scot) en font partie. Réalisé à l’échelle de plusieurs communes regroupées parfois au sein d’EPCI (établissement public de coopération intercommunale), le Scot doit intégrer les directives d’autres schémas qui lui sont supérieurs comme le Sdage, le Sage, le Srce et Sraddet. Le profane est averti, naviguer en urbanisme nécessite d’affronter une multitude d’acronymes. Ce qu’il faut retenir, c’est que le Scot définit de grandes orientations sur l’usage des sols à l’échelle d’un bassin de vie ou d’emploi, que les plans locaux d’urbanisme (PLU ou PLUi s’ils sont réalisés à l’échelle d’un EPCI) ou les cartes communales, documents plus simples utilisés principalement par de petites communes rurales, doivent respecter. « On voit de grandes différences entre des Scot qui ont adopté une cartographie très précise et des Scot moins précis laissant aux PLU des marges de manœuvre plus importantes dans la délimitation fine de leurs zones agricoles et constructibles «, observe Coline Perrin chargée de recherche en géographie à Inrae et coauteure du livre « Le foncier agricole dans une société urbaine. Innovations et enjeux de justice «, publié en 2020 aux éditions Cardère.

Lors de l’’élaboration du Scot, tout citoyen, agriculteur compris, peut donner son avis dans le cadre d’une enquête publique. « Cette phase de concertation peut faire émerger l’agriculture ou l’alimentation comme des éléments structurants. C’est ce qu’il s’est passé par exemple lors de l’élaboration du Scot de Bordeaux, où des éléments remontés lors de la concertation citoyenne ont permis d’amorcer une politique agricole et alimentaire «, souligne Coline Perrin.

 

 

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... aux moindres détails

«S’il y a encore quelques communes rurales qui ne sont pas couvertes par des PLU ou des cartes communales, l’ensemble du territoire doit être progressivement couvert par des Scot «, précise la chargée de recherche. Les PLU(i) sont en charge d’organiser dans le détail, parcelle par parcelle, le déploiement du Scot (un PLU(i) peut aussi être mis en place si aucun Scot n’existe sur le territoire) grâce à un règlement encadrant l’utilisation des sols pris en cohérence avec son projet d’aménagement et de développement durable (PADD). Des arbitrages sur lesquels les citoyens peuvent apporter leurs observations lors de la phase de concertation. Les collectivités déterminent quelles parcelles se trouvent en zone urbaines (U), à urbaniser (AU), agricoles (A) et naturelles ou forestières (N) et déterminent, pour chaque zone, quelles sont les natures des constructions autorisées ou interdites.

Des zonages instables

«Pendant longtemps des révisions récurrentes de ces documents d’urbanisme ont entretenu une instabilité des zonages. Il n’était jamais sûr que la parcelle classée zone agricole ne devienne pas constructible cinq ans après, suite au changement d’équipe municipale par exemple, même si des lois sont intervenues pour rendre ces documents plus stables «, tempère Coline Perrin. Une situation qui peut favoriser la spéculation foncière (lire le témoignage).

Afin de remédier à l’instabilité des zonages, deux outils existent pour préserver les terres agricoles sur le long terme : la zone agricole protégée et les périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains.

Sanctuariser les terres agricoles

La première, appelée Zap, permet la mise en œuvre d’une protection renforcée des terres agricoles à l’échelle d’une ou plusieurs communes. Elles survivent aux élections municipales car elles sont délimitées par un arrêté préfectoral et ne peuvent être modifiées ensuite que par le préfet. Pour autant, les communes ne peuvent pas se voir imposer ce zonage dont elles restent à l’initiative. « Sans un élu moteur et de courage politique, la Zap de la commune d’Entrelacs (NDLR : située sur le bord du lac du Bourget en Savoie avec une forte pression foncière) de plus de 2 500 hectares n’aurait pas vu le jour «, explique Vincent Ruin, conseiller chargé de territoire à la Chambre d’agriculture Savoie Mont-Blanc.Éviter toute implantation nouvelle isolée

Les périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (appelés PAEN, Penap ou Enap selon les régions) ont un champ plus large que les Zap - les zones N des PLU(i) sont concernées - et une protection encore plus forte, puisqu’ils doivent être validés par le département et ne peuvent être modifiés que par un décret ministériel. Ils sont aussi assortis d’un programme d’actions orienté par un projet de développement agricole, défini en amont. Particulièrement moteur sur ce sujet, le département du Rhône a par exemple alloué, sur la période 2018-2021, 1,5 million d’euros d’aides pour 143 projets identifiés sur ses trois Penap d’une surface totale de 43 500 hectares. Des aides à l’investissement fléchées à 60 % pour la production arboricole et maraîchère.

Un manque de moyens

« La limite de ces périmètres est que les collectivités doivent trouver des financements pour chacune des lignes du programme d’actions «, souligne Coline Perrin. Le manque de budget peut freiner l’émergence de nouveaux périmètres et toucher aussi plus largement l’élaboration des documents d’urbanisme. « Des petites communes avec peu de budget n’ont pas les moyens de faire des PLU ambitieux, d’autant que leur coût augmente avec le temps parce que la loi oblige à réaliser de plus en plus de diagnostics et d’études. Elles vont confier leur élaboration à des bureaux d’études qui vont les faire à la chaîne sans prendre le temps d’aller faire un travail de terrain approfondi avec des diagnostics poussés sur le volet agricole, regrette la chargée de recherche.

Ce manque de moyens financiers est aussi dénoncé dans la mise en place des objectifs de la récente loi climat et résilience, du 22 août 2021. Le texte a fixé pour objectif de diminuer par deux le rythme de l’artificialisation des sols dans les 10 prochaines années et d’atteindre le zéro artificialisation nette (Zan) en 2050. Des objectifs que doivent prendre en compte les documents d’urbanisme. Si la mise en œuvre de cette politique suscite notamment les critiques de l’Association des maires de France, un rapport du Sénat, publié le 29 juin dernier, estimait qu’»il n’y a pas aujourd’hui de financement du Zan viable sans intervention publique». L’État est prévenu, un jardin ne s’entretient pas sans outils.