«Un demi-siècle après l’instauration des instruments de régulation du foncier rural et la fameuse “Utopie foncière” d’Edgar Pisani, le temps est venu de rénover de fond en comble notre rapport juridique à la terre. L’accaparement, l’artificialisation, la désertification et la dégradation sont des maux qui justifient une nouvelle politique d’aménagement du territoire fondée sur un système de gouvernance entièrement modernisé.
Bien hors du commun
Commençons par réaffirmer la légitimité du contrôle du foncier : le sol, à l’instar du reste de la nature, n’est pas un objet comme un autre. Il s’agit d’une ressource de plus en plus rare, qui rend des services tant individuels que collectifs. D’où la nécessité d’instituer des garanties d’accès à sa jouissance et de son partage équitable entre les citoyens. S’agit-il de vérifier qui se rend propriétaire de l’espace ou simplement d’encadrer les usages qui en sont faits ? L’intelligence du droit rural de l’après-guerre est d’avoir voulu appréhender les deux valeurs des biens, d’échange et d’usage, au moyen de la Safer et du contrôle des structures. Il faut aujourd’hui dépasser cet horizon : dans une perspective territoriale, il n’est plus pensable de séparer les multiples fonctions de l’espace (économique, sociale, environnementale). Une approche globale s’impose à partir d’un authentique “droit foncier”. Contrairement aux idées reçues, la fusion des instruments urbains et ruraux donnerait une chance à l’agriculture de revenir au cœur des enjeux du territoire : préserver l’intégrité des surfaces arables suppose précisément d’étendre le contrôle à tous les usages (énergie, transport, habitation, tourisme) qui viennent les menacer.
Pacte social
Arbitrer entre les désirs insatiables de foncier n’est cependant possible que si on réinvente notre modèle agricole. Le défi : réconcilier unité et diversité agri-culturelle. On peut “en même temps” accepter les différences et dire que toutes les formes de production ne se valent pas, socialement et écologiquement. La faim ne justifie pas tous les moyens. Gardons à l’esprit que si le public soutient financièrement son secteur agricole, c’est parce qu’il en attend des services qui vont au-delà de la simple quantité de nourriture. Les conditions du pacte social portent désormais sur l’espace, les hommes et les produits. Le droit rural n’a plus le choix de tergiverser : il doit mener ce combat d’avant-garde, sans quoi ce sont les droits de l’alimentation, de l’environnement et des animaux qui dicteront – depuis les villes – la manière de produire des denrées. Muer, c’est parfois se sauver !
Acte de renaissance
Ces libres propos plaident pour une réforme profonde, globale et intelligente, véritable acte de renaissance du droit foncier rural. Pas un texte de circonstance pris sous le coup d’une émotion médiatique ; pas un texte écrit en chinois, pour des Chinois ; mais un texte qui porte la plume du juriste dans la plaie, pour rendre le droit plus juste, plus efficace et plus cohérent. Au législateur de prendre ses responsabilités. “Il faut faire les révolutions qui ne peuvent être évitées”, écrivait Pisani… »