Certains comptables auraient préféré croire à un poisson d’avril. « C’est une année de travail que l’on doit rattraper en quelques jours », lance, désabusé, Mickaël Neu. Comme lui, les comptables et les experts-comptables agricoles ont appris dans la presse le 1er avril 2025 que la ministre de l’Agriculture et la ministre des Comptes publics ont autorisé les éleveurs constatant une hausse de la valeur de leurs stocks de vaches laitières et allaitantes à réaliser une provision, plus tôt que prévu, dès l’exercice de 2024.

Une mesure prise dans un simple communiqué après que le Conseil constitutionnel a censuré l’article de la loi d’orientation agricole du 24 mars 2025, qualifié de cavalier législatif, qui prévoyait la rétroactivité de ce dispositif adopté en février dernier dans la loi de finances pour 2025.

« Quasiment impossible de revoir une année de comptabilité »

La Fédération nationale bovine a très rapidement salué dans la journée du 1er avril « une annonce majeure pour bon nombre d’éleveurs », concrétisant une promesse du gouvernement dans son plan pour l’élevage présenté il y a plus d’un an en février 2024. Mais l’idée que tous les éleveurs potentiels puissent bénéficier à temps de cette accélération d’un an du calendrier de cette mesure est incertaine.

En cause, les délais extrêmement courts laissés aux agriculteurs et à leurs conseils, alors que la période de déclaration des revenus de 2024 est ouverte depuis le 10 avril. « Notre profession connaît un goulot d’étranglement en avril et mai. C’est quasiment impossible de revoir une année de comptabilité durant cette période », indique Mickaël Neu tout en reconnaissant lui aussi que la rétroactivité est une bonne nouvelle pour les éleveurs.

« En soi, c’est une écriture comptable mais elle a de nombreuses conséquences notamment sur la stratégie fiscale définie avec l’exploitant. Si nous l’avions su avant, des choix d’amortissements auraient par exemple pu être différents. » Des modifications qui engendreront un travail supplémentaire et donc une nouvelle facture pour l’exploitant.

Le risque d’un défaut de conseil

Ce que dénonce aussi l’expert-comptable mosellan, c’est le risque d’un éventuel défaut de conseil que pourraient soulever des éleveurs qui n’auraient pas pu bénéficier à temps de cet avantage fiscal ou sa remise en cause ensuite par l’administration fiscale en cas d’erreur. Car outre le délai restreint, les experts-comptables n’ont qu’un communiqué de presse qui est loin d’être suffisamment précis pour répondre à certaines de leurs questions techniques pour conseiller les éleveurs de leurs portefeuilles.

C’est ce qu’il se passe quand une provision est annoncée sans prévision. Une situation symptomatique de l’instabilité politique née après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale de juin dernier et des résultats des élections législatives qui ont suivi. D’autant plus que, dans son communiqué, les deux ministres indiquent que cette rétroactivité sera officialisée dans la prochaine loi de finances.

Mais que pourrait-il advenir si cette traduction législative venait à ne pas passer le vote du Parlement ? Sollicités, les deux cabinets des ministres n’ont pas répondu, pour l’heure, sur les conséquences d’une telle issue.