De part et d’autre du lac Léman, que traverse la frontière franco-suisse, les agriculteurs ont le même souhait : vivre de leur travail. En 2022 et 2023, sous la présidence de la chambre d’agriculture de l’Ain, l’Union lémanique des chambres d’agriculture (Ulca) a travaillé sur les filières de la viande. Plus particulièrement sur les « systèmes alimentaires du milieu », intermédiaires entre circuits courts et filières longues. Lors d’une réunion le 22 novembre 2023 dans l’Ain, quatre filières partageaient leur expérience.
Les bouchers suisses ne veulent plus payer
Du côté suisse, le cochon vaudois est né en 2016. Basée sur un cahier des charges exigeant, la filière regroupe deux éleveurs, deux engraisseurs, un abattoir et quatre bouchers. Objectif : produire des porcs bien rémunérés en valorisant le petit-lait local. Cependant, les bouchers ne veulent plus y mettre le prix. « Ils ont d’abord joué le jeu, car un scandale avait entaché la filière porcine. Mais celle-ci ayant redoré son image, ils ne voient plus l’intérêt », résume Claude Baehler, président de l’association vaudoise Prométerre.
Dans le Valais, le label Fleur d’Hérens, créé en 2005, regroupe 245 éleveurs bovins. Ils touchent une plus-value de 1 franc suisse par kg de carcasse (1), justifiée par le cahier des charges : lien au terroir, bien-être animal, environnement… Mais seules 226 bêtes ont reçu ce label l’an dernier, les bouchers ne veulent plus payer et les restaurants s’en détournent.
Entre essoufflement et concurrence
Du côté français, même déconfiture. La filière Viandes des Pays de l’Ain, créée en 2018, regroupe 65 éleveurs bovins, mais la viande n’est valorisée qu’à 80 % du coût de production. Interbev et l’association manque de volume pour être à l’équilibre. Quant à la marque Viande bovine des Pays de Savoie, qui accorde un bonus de 0,15 €/kg de carcasse, elle a connu un bon démarrage en 2015, puis une dégringolade.
La chambre d’agriculture pointe « l’émergence de labels concurrents », face auxquels son cahier des charges « laxiste » ne fait pas le poids : il garantit seulement des animaux nés en France puis engraissés, abattus et transformés en Pays de Savoie.
Riches de ces retours d’expérience, éleveurs, techniciens, institutionnels et élus locaux venus d’une rive ou l’autre du Léman, se sont creusés les méninges durant une matinée. Créer une « identité lémanique » transfrontalière, mutualiser des moyens logistiques, élaborer une communication commune, associer le monde du tourisme… Tous les moyens de collaborer ont été passés au crible.
« Même métier, mêmes animaux, mêmes défis : on est dans le même bateau », résume un éleveur français. Mais les différences dans les règles de production et dans le pouvoir d’achat, entre la Suisse et la France, compliquent la collaboration.
(1) 1 CHF (franc suisse) = 1,08 €.