« La destruction du barrage de Kakhovka n’est pas un élément déterminant pour faire partir le marché à la hausse », rassure Arthur Portier, analyste chez Agritel, au sujet des milliers de litres d’eau qui se sont abattus sur la région de Kherson ce mardi 6 juin 2023. Selon des estimations provisoires du ministère ukrainien de la Politique agraire et de l’Alimentation, les inondations emportent avec elles près de 10 000 hectares de terres agricoles implantées sur la rive droite de Dniepr. L’impact serait « plusieurs fois plus important » sur la rive gauche, occupée par les Russes.

Avec ceci s’ajoute l’arrêt de l’approvisionnement en eau de 31 systèmes d’irrigation des champs dans les régions de Dnipro, Zaporijia et Kherson. Une véritable catastrophe environnementale, sanitaire et humanitaire pour l’Ukraine. Mais quelles sont les répercussions réelles de cette catastrophe sur l’agriculture et sur les marchés ?

« 1,5 million de tonnes de grains à risque »

« En 2023, seuls 13 systèmes d’irrigation fonctionneront sur la rive droite du Dniepr. La centrale hydroélectrique de Kakhovka a privé de source d’eau 94 % des systèmes d’irrigation à Kherson, 74 % dans la région de Zaporijia et 30 % dans la région de Dnipropetrovsk », déclare le ministère ukrainien. Au-delà des silos inondés, ce système d’irrigation défaillant peut mettre 500 000 hectares et 1, 5 million de tonnes de grain à risque. Si l’Ukraine parle de champs transformés « en désert » pour l’année suivante, cet événement ne devrait pas avoir d’impact sur les cultures d’hiver dans l’immédiat. En revanche, les surfaces de maïs pourraient être impactées, dès cette année, du fait de leurs besoins importants en irrigation. « La vraie question à se poser est à moyen terme. On pourrait constater une baisse de production dans cette région du monde à partir de 2024 », précise Arthur Portier.

Toutefois, cela ne devrait pas avoir d’incidence majeure sur les marchés mondiaux. « Cet événement fragilise une fois de plus la position ukrainienne. Elle passe d’une production de 33 millions de tonnes de blé en 2021 à 17 millions cette année. Malgré tout, ces volumes sont compensés par la Russie avec plus de 85 millions de tonnes produites cette année ». Néanmoins, la fragilité agricole ukrainienne ne laisse pas de place à un événement climatique ailleurs dans le monde. « Les sécheresses en Europe du Nord, la chaleur au Canada et aux États-Unis, l’effet de El Niño probable en Australie risquent d’apporter de la fermeté dans le marché et tendre le bilan », affirme l’analyste.

Pas d’impact direct sur les exportations

La vague d’eau issue du réservoir de Krakhovka a affecté un grand nombre d’infrastructures, mais elle ne devrait pas freiner les exportations de céréales. « Certains terminaux portuaires ont été touchés mais les ports n’ont pas été frappés directement », indique Arthur Portier. Outre le barrage, les échanges pourraient être affectés par les restrictions européennes ou l’accord céréalier de la Mer noire. Sur ce point, Arthur Portier se veut rassurant : « Même si ce corridor n’est pas reconduit, les Ukrainiens parviendront à exporter plus d’un million de tonnes par mois par les autres voies ».

Pour Olia Tayeb Cherif, responsable d’étude au sein de la Fondation FARM, un risque subsiste au niveau du corridor. L’explosion du pipeline Togliatti-Odessa devrait « changer les contours des négociations ». Cette conduite d’ammoniac permettait à la Russie d’exporter plus de 2,5 millions de tonnes d’ammoniac par an et constituait un argument dans la reconduite de l’accord. « Si cet accord n’est pas reconduit, c’est près de 50 % de volumes de grains qu’il faudra faire sortir par ailleurs. À ce moment, on risque d’avoir des effets sur le marché et sur les exportations », explique-t-elle.