L’enseignement agricole apprend à son tour à faire cours à distance. Que ce soit du côté du public ou du privé, il a été rapidement bouleversé par le confinement instauré le 17 mars 2020 pour lutter contre la propagation du coronavirus Covid-19. Il doit inventer en direct ses propres pratiques pour relever quatre défis : garder le contact avec les élèves et leurs familles, assurer la continuité pédagogique un peu différemment de l’Éducation nationale puisque les ateliers pratiques y sont nombreux, soutenir les enseignants dans cette période inédite, et apprendre collectivement un nouveau rapport entre les enseignants et les élèves.

Consignes transmises

La direction de l’enseignement (DGER) du ministère de l’Agriculture a envoyé des consignes aux établissements par l’intermédiaire de ses directions régionales (Draaf), qui jouent un rôle de référent pédagogique, les 1er, 6 et 14 mars 2020 en suivant l’évolution de la situation sanitaire.

 

Dans son courrier du 14 mars 2020, elle annonce la fermeture des 806 établissements agricoles publics et de ses 18 établissements supérieurs à partir du 16 mars 2020. Les établissements privés sous contrat ont suivi la même consigne. Ils se coordonnent avec le ministère de l’Agriculture et les directions régionales par des réunions téléphoniques régulières.

Garder le contact

Le confinement total renforce, par contraste, le besoin de garder le contact avec les élèves et leurs familles. Pour cela, les formateurs des Maisons familiales et rurales (MFR), qui sont plutôt des petites structures familiales, ont déjà une bonne expérience. Sur le terrain, elles le font avec des outils très simples comme des portfolios, des groupes Facebook, le mail ou tout simplement le téléphone. Elles n’ont pas l’impression d’avoir amplifié le nombre de leurs contacts durant cette période, mais mesurent la portée du travail de fond des années précédentes.

Assurer la continuité pédagogique

L’enseignement agricole se caractérise par l’importance des ateliers pratiques dans sa pédagogie. Les Maisons familiales et rurales forment 45 000 jeunes uniquement par alternance. Le réseau n’accueille plus les jeunes dans les classes, en extrapolant ainsi la consigne donnée le 15 mars par le ministère du Travail pour les centres de formation des apprentis (CFA). Les stagiaires sont donc en entreprise et le réseau applique les règles du confinement : tous les stagiaires dans des entreprises non essentielles sont confinés.

 

Pour les stagiaires de la production agricole, les situations sont évaluées au cas par cas. La logique est la même dans le réseau Cneap (enseignement agricole privé catholique) ou pour le ministère de l’Agriculture. « Tous les CFA et les organismes de formation suspendent l’accueil en formation, et ce jusqu’à nouvel ordre. Ce principe s’applique à l’ensemble des personnes en formation quel que soit leur statut », annonce la direction de l’enseignement (DGER). En revanche, les activités des exploitations agricoles et les ateliers technologiques, adossés aux lycées agricoles, sont maintenues.

Le renfort du numérique

Pour les cours habituellement en salle, les établissements se sont rapidement tournés vers les solutions numériques qui existaient déjà. Parfois avec les moyens du bord. Un enseignant d’un lycée privé de l’ouest de la France, à défaut d’accès aux plateformes de l’Éducation nationale, utilise Office 365 de Windows pour rendre accessible ses cours par Onedrive et poser des consignes ou des quiz par la messagerie électronique.

 

La constellation de petites structures associatives, qui gèrent les MFR, faisait déjà preuve d’une certaine créativité dans l’utilisation des outils sur le terrain comme de simples groupes Facebook, par exemple. La maison d’édition spécialisée dans l’enseignement agricole Educagri éditions a mis en ligne ses ressources pédagogiques numériques (j’apprends en ligne, manuels, vidéos…) pour un mois à partir du lundi 16 mars 2020.

 

Le réseau des MFR avait créé depuis quatre ans sa propre plateforme d’enseignement à distance, W-@lter, sur la base de Caroline connect, une plateforme créée par les universités de Lyon 1 et de Louvain-la-Neuve (Belgique). Cette plateforme était destinée à l’origine à la formation des formateurs. Devant l’urgence, l’union des MFR a décidé, le 17 mars 2020 après midi, de l’ouvrir gratuitement aux jeunes formés en MFR, tout en la rendant plus ergonomique, et de s’en servir comme un outil de classe inversée.

 

Du côté du ministère de l’Agriculture, la continuité pédagogique est essentiellement assurée par les environnements numériques de travail (ENT) déjà en place qui servent de cadre privilégié. Ils proposent plusieurs services tels que des communications à distance, des accès aux cahiers de textes numériques, la mise à disposition de supports de cours et d’exercices, des ressources documentaires et des manuels scolaires numériques avec leurs sites compagnons.

Placer le numérique dans un parcours

Le Cneap envisage la notion de continuité pédagogique en l’élargissant au-delà du seul espace numérique, tirant ainsi un premier enseignement de la saturation des plateformes nationales durant les premières heures du confinement. Le réseau utilise le Projet Voltaire pour l’apprentissage du français. « Pour les matières plus techniques, les instituts, comme Passion céréales ou le Cniel (interprofession laitière), mettent en ligne des vidéos pour les sujets purement agricoles. On s’en sert, mais on n’a pas trouvé de baguette magique pour remplacer les ateliers techniques », raconte Thierry Dedieu, adjoint au secrétaire général du Cneap.

Soutenir les enseignants

Si les élèves découvrent la situation, les enseignants sont souvent dans le même cas.

Un des syndicats d’enseignants dans les établissements publics agricoles, le Snetap-FSU, demandait de meilleures précisions dans les consignes avant le confinement.

 

Entre les équipes pédagogiques, la pratique de la visioconférence se généralise. Le fournisseur du service de visioconférence pour les MFR vient d’accorder la gratuité jusqu’en avril pour les formateurs des MFR qui en font la demande.

 

D’autres outils développés par Agrosup Dijon, une école d’ingénieurs du ministère de l’Agriculture, sont mis à la disposition des enseignants des établissements publics et privés sous contrat, comme des serveurs qui peuvent faire fonctionner huit à dix mille classes virtuelles, ou les parcours de formation de la Direction d’enseignement à distance.

 

Parmi les autres outils, la plate-forme Acoustice permet aux enseignants disposant d’une adresse @educagri de suivre des webinaires, des tutoriels, ou de collaborer entre eux. Des ressources sont également disponibles sous forme de témoignages d’expériences, d’outils testés de pratiques expérimentées sur Chlorofil, une plateforme des ressources de l’enseignement agricole, et sur le site Pollen, une plateforme de partage des innovations pédagogiques.

 

> À consulter aussi : Le réseau Canopé (Éducation nationale) affecté à l’innovation pédagogique

En tirer les leçons

« Sur le terrain, ça démarre et on apprend au fur et à mesure, tempère Thierry Dedieu. On règle les dosages. Tous les jeunes ne vont pas passer autant d’heures devant leur écran que celles qu’ils passent en classe. Les enseignants ne doivent pas en donner trop. Tous les jeunes ne sont pas à l’aise avec le numérique, ni avec la motivation solitaire. » La question des conditions pratiques pour passer les examens, s’ils se déroulent encore pendant la période du confinement, n’est pas encore la priorité, mais les acteurs de l’enseignement savent qu’elle peut arriver.

 

La période inédite que vit l’enseignement agricole est aussi un moyen d’enrichir l’expérience collective. L’enseignement agricole privé se coordonne avec le ministère de l’Agriculture (DGER) et les directions régionales pour documenter les expériences. Une réunion téléphonique a eu lieu le mardi 17 mars 2020 après-midi entre les acteurs du secteur.

 

Le ministère a envoyé un tableau qu’il demande aux chefs d’établissement de remplir chaque jour et de faire remonter, grâce à une adresse spécifique, par les autorités pédagogiques régionales (les Draaf) pour signaler les problèmes et observer la mise en place de ces innovations. « La période sera peut-être une façon de faire avancer à l’avenir l’enseignement à distance et l’accompagnement des jeunes d’une autre façon », avant Thierry Dedieu.

 

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