Le gouvernement russe a d’ores et déjà recommandé à ses producteurs d’engrais de suspendre leurs exportations. L’enjeu est majeur pour l’Union européenne, qui importe de Russie à la fois des engrais et du gaz indispensable pour en fabriquer.
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Une double dépendance
« En 2021, la Russie était le premier exportateur d’engrais azotés et le deuxième fournisseur d’engrais potassiques et phosphorés », rappelle l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
« 40 % de l’approvisionnement européen en gaz provient actuellement de Russie », qui fournit « 25 % de l’approvisionnement européen » en azote, potasse et phosphate, alertait le 1er mars Svein Tore Holsether, patron du Norvégien Yara, le premier producteur mondial d’engrais azotés minéraux.
L’Union européenne consomme chaque année « plus de 11 millions de tonnes d’azote de synthèse » selon un récent rapport de députés européens écologistes. Elle dépend donc de la Russie à la fois pour son gaz et ses importations directes de fertilisants, le Brésil restant le premier importateur d’engrais azotés russes.
La flambée des prix continue
Le prix des engrais minéraux n’a cessé d’augmenter, dans le sillage de l’envolée du gaz naturel. « Les prix de l’urée, un engrais azoté clé, ont plus que triplé au cours des douze derniers mois », selon la FAO.
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L’invasion russe de l’Ukraine a de nouveau dopé le prix du gaz et la solution azotée, qui coûtait environ 600 euros la tonne à la fin d’octobre sur le marché européen, atteint désormais les 800 euros, « un record », souligne Isaure Perrot, consultante au cabinet Agritel.
Dans ces conditions, Yara a annoncé qu’il réduisait temporairement sa production en France et en Italie. Son président a jugé « crucial » que la communauté internationale « s’emploie à réduire la dépendance à l’égard de la Russie ».
Le risque éventuel d’une pénurie est encore supplanté par la crainte sur les capacités d’approvisionnement au vu des coûts astronomiques des fertilisants : « En Europe de l’Ouest, les agriculteurs sont en général couverts pour les semis de printemps, mais la question se pose pour la campagne de 2023 », alerte Edward de Saint-Denis, courtier chez Plantureux et associés.
Aujourd’hui, et « malgré la hausse des cours des céréales, il n’est pas rentable d’acheter des engrais à 800 euros la tonne », renchérit Isaure Perrot.
Quelles solutions ?
L’Europe va devoir se tourner vers d’autres sources : « Il y a du gaz en Algérie, aux États-Unis — mais à quel prix ? — et aussi en Iran ou au Kazakhstan — mais voudra-t-on acheter à ces pays-là ? », s’interroge Isaure Perrot.
Pour la potasse, dont près de 40 % sont importés de la Russie et de la Biélorussie, l’Europe pourrait se tourner vers le Canada, qui est déjà son principal fournisseur, mais à des prix plus élevés, ou vers Israël et la Jordanie, estiment des courtiers en céréales.
L’Union européenne pourrait aussi augmenter ses apports en phosphate, dont la Chine, le Maroc et les États-Unis sont les premiers producteurs. Mais, soulignent-ils, cela ne remplacera pas l’azote, sur lequel reposent les rendements élevés européens.
Pour Isaure Perrot, des pistes alternatives seront creusées si la crise perdure, comme une modification des cultures, en privilégiant les légumineuses, le tournesol ou le soja, moins gourmands en azote que le blé et le maïs.
De son côté, Yara veut, dès 2023, produire 30 % de ses ammonitrates à partir de l’hydrolyse de l’eau — et non de gaz. Un « hydrogène vert » encore très cher, qui permettrait de s’affranchir à la fois des énergies fossiles et de la dépendance au gaz russe.