Seul le craquement des feuilles de cahiers sous nos pieds brise le silence installé depuis trente-cinq ans dans cette école de Prypiat, au nord de l’Ukraine. Le sol est jonché de cartes, de manuels et d’écritures enfantines qui suggèrent quand le temps s’est arrêté. Le 26 avril 1986, à quelques kilomètres de là, le quatrième réacteur de la centrale de Tchernobyl explose, causant un des plus graves accidents nucléaires de l’histoire. Aujourd’hui, la zone peut être visitée sans risque pendant quelques heures, les niveaux de radioactivité ayant beaucoup baissé.

Construite au milieu de la forêt pour accueillir les ingénieurs de la centrale, Prypiat était une ville moderne, dont le nom rend encore nostalgique les dizaines de milliers d’évacués. Tout retourné, le supermarché de la ville – très rare en URSS, à laquelle appartenait l’Ukraine à l’époque – rappelle la prospérité de la ville. Sur la grande place, les bâtiments n’ont pas bougé d’un pouce, mais la végétation a repris ses droits. Ici, une fête foraine pousse au milieu des herbes folles. Là, le stade municipal est devenu une forêt de bouleaux.

 

La plupart des visites organisées par les opérateurs s’arrêtent devant le quatrième réacteur, aujourd’hui recouvert d’un impressionnant sarcophage métallique. « C’est un lieu de force, de pouvoir, c’est déjà ce que je ressentais en 1986 », raconte Sergueï Mirnyi, un ancien liquidateur dépêché sur place pour décontaminer la zone juste après l’accident.

Dans les années 2000, il fonde une des premières agences touristiques, « pour que quelque chose de positif ressorte de cette tragédie ». Comme d’autres survivants, il conduit des touristes, mais aussi des scientifiques dans la zone d’exclusion autour de l’ancienne centrale nucléaire. Des visites qui rappellent l’impuissance de l’homme face aux forces entre ses mains, parfois bien plus grandes que lui.

Clara Marchaud