Un « idéal agronomique », la polyculture-élevage ? « Disons plutôt que c’est un système intéressant dans le cadre d’une démarche agroécologique », nuance Pierre Mischler, à l’institut de l’élevage (1).« Elle peut favoriser le bouclage du cycle de l’azote, valoriser des parcelles à faible potentiel agronomique, gérer les maladies et adventices par une rotation longue incluant des cultures fourragères… » Ces vertus agronomiques et écologiques « potentielles » devraient se traduire sur le plan financier, ajoute Christophe Perrot, au département économie du même institut. « Hélas, ce modèle ne fonctionne pas si bien. Les polyculteurs-éleveurs laitiers sont même au-dessus du prix de revient moyen de 396 €/1 000 l pour les ateliers de plaine, à cause d’achats d’aliments élevés. »
Fermes polyspécialisées
Le même constat est dressé en bovins allaitants par Patrick Veysset, à l’Inra de Clermont. « Les polyculteurs-éleveurs ne produisent pas plus de viande que les allaitants spécialisés, mais achètent davantage de concentrés. » Parmi les exploitations qu’il a étudiées, sur le bassin charolais, celles en polyculture-élevage ne présentent « aucun avantage en termes de résultat disponible par travailleur, ni aucun bénéfice environnemental : bilan carbone, consommation d’énergie ou bilan d’azote. Ces observations concordent avec celles que l’on peut faire sur le RICA (2) en systèmes bovins viande ».
Faut-il donc jeter le concept de polyculture-élevage aux orties ? « Pas du tout, c’est l’agrandissement que je jette aux orties ! », s’exclame le chercheur, qui voit une explication aux résultats dégradés des polyculteurs-éleveurs par rapport aux allaitants spécialisés : « Les fermes étudiées en polyculture-élevage ont systématiquement plus d’hectares et d’animaux, même rapportés au nombre d’actifs. Or au-delà d’un certain seuil, les exploitants simplifient leurs systèmes et deviennent multispécialisés, sans tirer aucun avantage de la complémentarité entre productions. »
Un potentiel d’économies
Idem en lait : « La plupart des fermes de polyculture-élevage fonctionnent comme deux ateliers spécialisés juxtaposés, visant chacun la productivité maximale, abonde Christophe Perrot. Elles recherchent les économies d’échelle, par l’agrandissement et la spécialisation des ateliers, plutôt que les économies de gamme permises par la complémentarité des productions. »
En théorie, les sources d’économies de gamme sont pourtant nombreuses : aliments autoconsommés, économies de
phytos et d’azote, partage du matériel (tracteurs) entre ateliers… « Mais globalement, le seul facteur vraiment optimisé est la main-d’œuvre, avec une productivité du travail plus forte en polyculture-élevage. » Qui, d’ailleurs, ne se traduit pas forcément par une rémunération plus élevée. Quant au bilan environnemental, « sa variabilité est aussi grande entre les polyculteurs-éleveurs que par rapport aux spécialisés. »
La présence conjointe d’animaux et de cultures sur une exploitation n’est donc pas, en soi, un gage de meilleure performance agronomique, environnementale ou économique. C’est la complémentarité entre les ateliers qui donne à ce système tout son sens. C’est sous cet angle que Pierre Mischler et Gilles Martel, de l’Inra de Rennes, ont étudié quelque 1 000 exploitations des réseaux d’élevage, combinant des cultures (hors industrielles) et un atelier de ruminants.L’étude de dix critères, comme le degré d’autonomie en alimentation, en paille et en fertilisation, a permis de classer ces fermes en trois catégories : très couplées (avec de fortes interactions entre l’atelier animal et végétal), moyennement couplées ou peu couplées (avec peu de liens entre les ateliers).
Premier enseignement : on trouve des fermes très couplées dans toutes les régions, de toutes les tailles et dans toutes les orientations - dominante culture ou herbe, même si celles ayant beaucoup de surfaces en herbe, ainsi que les bio, ont plus tendance à être « très couplées ». Second enseignement : la complémentarité entre les ateliers est réellement source de bénéfices environnementaux et économiques.
« Plus le couplage est fort, plus les indicateurs écologiques s’améliorent, résume Gilles Martel. L’écart est particulièrement net sur le bilan d’azote, en baisse de plus de 60 % dans les systèmes les plus couplés, qui valorisent mieux les effluents. Leurs charges phytos (sur cultures) et leur consommation de fioul sont aussi plus faibles. » Retournés dans tous les sens, les chiffres donnent la même tendance : en bovins lait ou viande, en ovins ou toutes filières confondues (hors bio), et quelle que soit la part de cultures dans la SAU. « Sur le plan économique, les bénéfices sont moins nets. Les fermes très couplées ont des charges opérationnelles plus faibles, mais le revenu par actif est équivalent en moyenne. » Ce qui est déjà une performance, car elles se trouvent plus souvent dans des zones à faible potentiel agronomique.
Des revenus plus stables
« En fait, les fermes très couplées sont plus efficaces : elles font autant de résultat avec moins de potentiel, insiste Pierre Mischler. De plus, elles ont des revenus moins fluctuants et moins souvent négatifs. Elles se sont beaucoup mieux maintenues lors des années difficiles comme 2016. La complémentarité entre ateliers, qui améliore l’autonomie, est un bon stabilisateur de revenus. » Les bonnes années et/ou dans les terres à bon potentiel, il peut apparaître plus intéressant économiquement de dissocier les deux ateliers, jusqu’à vendre sa récolte tout en achetant de l’aliment. « Mais attention : le choix de surfaces fourragères se fait sur un temps plus long que celui de la conjoncture économique à court terme… »
L’équilibre entre perte de produits et économies de charges n’est pas toujours facile à trouver. Ce que confirme Christophe Perrot : « Un couplage fort entre les ateliers entraîne des économies d’intrants grâce à la valorisation des effluents et aux cultures autoconsommées, mais cela suppose aussi de renoncer à atteindre la productivité maximale de chaque atelier. Les bénéfices sont clairs sur le plan environnemental, mais pas toujours sur le plan économique car les produits ne sont pas mieux valorisés… À moins de passer en bio. » Pour les exploitations dont les ateliers animal et végétal fonctionnent de façon très intégrée, la marche n’est parfois plus très haute.
(1) Co-animateur du réseau mixte technologique consacréà la polyculture-élevage (RMT SPyCE).
(2) Réseau d’information comptable agricole (national).