Conseillère sur les dossiers « installation et transmission » en chambre d’agriculture, Céline Deforge décide de se lancer elle-même dans le métier au printemps 2016. Le terrain n’est pas totalement inconnu pour elle : son mari, Bertrand, éleveur laitier à Bourgon, en Mayenne, a fait le choix de s’installer dès 2009, avec deux autres associés. Mais l’avenir du trio est devenu incertain, et l’arrivée de Céline tombe à pic. L’un des associés, Olivier, souhaite en effet s’arrêter en vue d’une reconversion professionnelle et l’autre, Claude, est sur le point de partir à la retraite. Une arrivée pour deux départs : l’équation reste à résoudre.
Céline Deforge est éleveuse laitière depuis mars 2016, à Bourgon, en Mayenne. © BD
Pour pallier le départ d’un associé
Claude facilite la transition, dans un premier temps, en poursuivant son activité sur la ferme en 2016, aux côtés de Bertrand et Céline. Mais un an plus tard, les Deforge se trouvent réellement au pied du mur, seuls, face à leurs 120 hectares et leurs 80 vaches laitières. Chercher un nouvel associé ne les emballe pas, d’autant plus que le duo projette de revoir son outil de production à la baisse et de convertir son système en bio. La bonne solution semble pour lui d’engager un salarié à mi-temps.
Ou pour se dégager du temps
Dans le même temps, Benoît Fouillet, leur voisin, a pris, à la fin de 2015, les rênes de la ferme familiale située à 500 mètres de la leur. Éleveur laitier avec 55 vaches, il dispose d’une surface de 85 hectares. Il est jeune papa et veut consacrer plus de temps à sa famille. La clé serait pour lui d’embaucher un salarié à mi-temps.
Les deux exploitations décident ainsi de s’associer dans leurs démarches. Et contre toute attente, leur recherche aboutit rapidement : « Un jeune est venu nous voir en juin 2016, se souvient Céline. Il entrait en BTS et recherchait un maître d’apprentissage. C’est un jeune de la région, dont les parents sont agriculteurs. Il avait déjà un peu de bouteille. Pour nous, c’était l’occasion de tester une embauche commune. »
Créer son groupement d’employeur
Le trio fait alors les démarches pour engager Samuel, l’apprenti, sur les deux exploitations. Mais c’est la législation qui bloque : un apprenti ne peut avoir qu’un seul employeur. « On s’est alors dit : “Pourquoi ne pas créer un groupement d’employeurs à trois ?” On n’y connaissait rien, mais on s’est lancé. Et l’école a finalement accepté que l’on engage Samuel ensemble. C’était très bien pour nous, ça nous permettait, au fond, d’anticiper la suite. »
Samuel est resté sur les deux exploitations de septembre 2016 à septembre 2018, le temps de décrocher son BTS ACSE. « Ce système lui a permis de découvrir deux systèmes différents dans le même temps, observe Céline. Le matériel n’était pas le même. Il a suivi nos questionnements au sujet de notre conversion en bio. Nous avons aussi eu des travaux en salle de traite, il a pu assister à leurs avancées. L’expérience du groupement d’employeurs a autant été intéressante pour lui que pour nous. » Samuel travaillait les lundis et jeudis chez l’un et les mardis et vendredis chez l’autre. Le mercredi se faisait en alternance sur les deux exploitations. « Il faisait deux semaines sur les fermes puis deux semaines à l’école. Ce système nous convenait bien, d’autant plus qu’il était souple : si Benoît avait davantage besoin de Sameul sur sa ferme que nous, on s’arrangeait. »
De l’apprenti au salarié
À l’issue de ces deux ans, Samuel a souhaité poursuivre son chemin. « Nous avons proposé de l’embaucher en tant que salarié. Mais il préférait continuer à apprendre, nous a-t-il expliqué. Et nous comprenons : à 21 ans, c’est bien d’aller voir ailleurs, commente Céline. Et donc, nous sommes repartis sur un nouveau recrutement. »
Les Deforge et leur voisin se sont posé tout d’abord la question d’un apprenti, voire de deux, « mais on s’est rendu compte qu’on avait globalement du boulot sur nos deux structures pour un temps plein. Et que le choix d’un salarié était préférable en termes de durabilité. »
Le trio a donc déposé une annonce sur les réseaux sociaux, les plateformes d’emploi et dans la presse locale. Mais c’est finalement, le bouche-à-oreille qui leur a permis d’entrer en contact avec Marlon, âgé de 31 ans, puis de l’engager à la mi-septembre 2018.
Un avantage pour recruter et fidéliser
« Marlon était auparavant salarié agricole sur deux autres exploitations qui n’étaient pas situées à Bourgon. Or, il habite comme nous sur la commune, donc ça l’arrangeait. » La situation lui convient d’autant plus que les exploitations de ces deux précédents employeurs étaient aussi plus distantes : « Il travaillait sur l’une le matin et l’autre l’après-midi, décrit Céline. Il devait faire au moins 50 km par jour… C’était lourd pour lui, même s’il s’entendait très bien avec ses employeurs. »
Marlon souhaitait de son côté n’avoir qu’un seul employeur. « Nous avons échangé avec lui sur ce point. Et il trouvait la situation plus confortable : si l’un des employeurs devait s’arrêter pour une raison ou une autre, c’était moins son problème que celui de l’autre employeur contraint de trouver une solution. En termes de perspectives mais aussi pour prendre ses congés, un seul employeur lui semblait là aussi préférable : c’est au groupement de se mettre d’accord et pas à lui d’accorder ses deux employeurs. »
Marlon a conservé le planning de Samuel. Il travaille par ailleurs un week-end sur trois, soit un sur six pour chaque ferme. « Dans l’idéal, nous visions un week-end sur deux, mais nous nous sommes rendu compte que ça faisait lourd pour un salarié. Pour pouvoir le recruter puis le garder, il nous semblait préférable de faire quelques efforts. Aujourd’hui, le gain est très appréciable sur la ferme au quotidien, affirme Céline. Et ça ne nous coûte pas plus cher que si on avait chacun engagé un salarié à mi-temps. »