Éleveuse depuis plus de vingt ans, Christine a créé en 2006 son atelier de transformation. Elle produit ses propres desserts vendus dans un magasin situé sur la ferme, ainsi que dans quelques restaurants et les grandes surfaces alentour. Face à cet essor, Christine a dû rapidement embaucher plusieurs salariés, dont Julie, dès 2006, en CDI et à temps plein, sur la partie transformation.

Tout semblait bien se passer au sein de l’équipe et sur l’exploitation, jusqu’à la survenue, à la fin de 2015, de soucis familiaux. Christine doit alors faire face à des difficultés personnelles, mais aussi économiques importantes, dont elle fait part à son équipe le 7 juin 2016. Son objectif est d’expliquer la situation de l’entreprise aux salariés et de redresser la barre.

Une surcharge de travail dénoncée par la salariée

Parmi les salariés, Julie le vit autrement. Elle a en effet le sentiment que Christine tente de faire peser sur elles les difficultés vécues. « J’effectuais des tâches sur l’exploitation qui ne relevait pas de mon poste », soutient-elle. Son amplitude horaire était aussi devenue plus importante, ajoute-t-elle. Pour Julie, l’évolution de ses responsabilités et de sa charge de travail a alors eu raison de sa santé. Son médecin fait part d’un syndrome anxio-dépressif.

Julie estime avoir demandé à plusieurs reprises des moyens matériels et humains supplémentaires pour être déchargée. En vain, selon elle. Pour son avocate, elle n’a pas bénéficié des moyens préventifs nécessaires, et l’employeur n’a donc pas respecté ses obligations de sécurité. Un mois après la réunion du 7 juin, Julie est mise en arrêt de travail. Elle est rapidement déclarée inapte à la reprise de son poste.

De son côté, Christine appelle la MSA et demande conseil auprès de l’inspection du travail. Après plusieurs échanges, elle propose à Julie un reclassement, avec un poste de secrétaire à temps partiel. Julie refuse la proposition et est donc licenciée pour inaptitude au travail et impossibilité de reclassement.

Julie conteste son licenciement sans cause réelle et sérieuse – « ses compétences n’ont jamais été remises en cause », souligne son avocate devant le conseil des prud’hommes — et réclame environ 90 000 euros à son employeur, dont 45 000 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 20 000 euros de dommages et intérêts pour préjudices subis. « Ma cliente n’a, depuis, jamais retrouvé une solution stable. »

L’agricultrice s’appuie sur le contrat de la salariée

Christine dénonce de son côté le fait que Julie ait eu à assumer seules toutes les responsabilités : toutes relevaient de ses compétences et de son poste, affirme-t-elle. La défense de Christine s’appuie à la fois sur la convention collective et sur les diplômes de Julie, mais aussi et surtout sur son contrat de travail et les différentes taches mentionnées : « Rien n’indique qu’elle est allée au-delà de sa fonction », plaide l’avocate. Chaque salarié était impliqué de la même façon « avec une charge de travail normale ». Par ailleurs, Christine assure avoir tenté de trouver des solutions pour parer à ses difficultés économiques et faire face aux réorganisations : la réunion du 7 juin 2016 avait cet objectif, poursuit-elle.

Christine s’étonne également que sa salariée, avant son arrêt de travail du 7 juillet 2016, ne l’ait jamais alertée sur son état de santé. Et rien ne prouve que ses conditions de travail n’aient été dégradées, appuie la défense. « Nous n’avons pas pu intervenir, puisque nous ne connaissions pas ses difficultés que nous avons découvertes quand elle s’est mise en arrêt », ajoute Christine.

Le jugement du conseil des prud’hommes

Julie a finalement été déboutée, faute de preuve notamment de la dégradation de ses conditions de travail. Face à l’inaptitude, l’employeur a par ailleurs eu la bonne conduite en appelant la MSA, et en allant jusqu’à lui proposer un reclassement.

L’affaire montre aussi que des échanges réguliers avec ses salariés au cours d’un entretien annuel ou même de pauses-café peuvent éviter d’arriver à cette situation. Un entretien annuel, plutôt qu’une simple réunion, aurait pu notamment permettre à Christine d’exposer la situation de son exploitation. L’entretien peut être signé par les deux parties et peut constituer une preuve par la suite. Dans cette affaire, Julie n’a fait part d’aucune difficulté avant son arrêt ou même durant la réunion collective. L’entretien signé sans mention de griefs de la part de Julie aurait ainsi permis à Christine de se défendre encore mieux.

Rosanne Aries

Les prénoms ont été modifiés, ainsi que des éléments non-clés de l’exploitation, afin que les personnes concernées ne puissent pas être reconnues.