« Un tremblement de terre a bouleversé la France. Vous êtes les seuls en mesure d’apporter ces médicaments jusqu’à l’hôpital qui en a besoin. Mais pour cela, il vous faudra traverser cette rivière ». Plonger des managers dans des situations d’urgence pour voir de quel bois ils sont faits, c’est ce que propose depuis 2011 l’école de Saint-Cyr.

Les groupes de stagiaires, une dizaine de personnes environ, sont immergés pendant quatre jours dans des jeux de rôles inspirés de situations vécues par des soldats. « Le groupe doit résoudre des situations complexes, en s’engageant dans une solution collaborative », explique Xavier Latournerie, Directeur de la stratégie pour ce service de formation, rattaché à la fondation Saint-Cyr.

Le stage, rigueur militaire oblige, est systématiquement organisée de la même façon : atelier, débriefing, puis apports de conseils et de méthodologies inspirées de l’armée. « Le but, c’est de montrer comme l’engagement individuel peut être au service de l’efficacité collective », explique Xavier Latournerie. Alors que l’on parle d’horizontalité, de flexibilité du temps de travail, quels conseils les militaires peuvent-ils bien offrir aux managers modernes ?

Idée n° 1 : Sortir de sa zone de confort

Le groupe est chapeauté tout au long du stage par un mentor, un ancien militaire passé au civil. Ce mentor est choisi par les organisateurs en fonction du groupe, avec un profil proche de celui des stagiaires, de façon à conserver un langage commun. Car c’est lui qui sera responsable du débriefing, le moment charnière des ateliers.

« Il se dit des choses fortes au debriefing », confirme Xavier Latournerie. Autour de la table, les participants sont ainsi invités, chacun à leur tour, à exprimer leur ressenti sur l’atelier. Et les bleus peuvent être émus. « Chacun reçoit un reflet concret, comme leader, et comme collaborateur. Cela peut être très positif, avec des gens qui comprennent, par exemple, qu’ils n’ont eu besoin que d’un regard pour s’aider. Mais on entend aussi des choses plus dures, comme « tu n’écoutes jamais »».

À l’issue de ce débriefing, chaque stagiaire prend alors un moment pour soi, afin de tirer des enseignements de l’aventure pour son quotidien. « En sortant de sa zone de confort, en se plongeant dans des endroits et des situations inconnus, cela permet de réfléchir différemment, de se remettre en question », explique Xavier Latournerie.

Idée n° 2 : Adopter un format précis pour transmettre ses consignes

Le débriefing est également l’occasion de transmettre des outils issus du monde militaire pour les transposer dans la vie civile. Quoi de plus précis, par exemple, qu’un ordre transmis par un gradé à son soldat ? Et pour cause, il y a derrière cette précision une méthode, que Saint-Cyr dévoile à ses stagiaires.

« Du caporal au général, on utilise un canevas identique pour transmettre des ordres », confie Xavier Latournerie. Une consigne militaire se donne ainsi toujours avec le même format : situation, mission, exécution, points particuliers, et place du chef. « Il y a toujours une analyse de la situation, un objectif clair, une liste ordonnée des tâches, et la mention des points d’attention », détaille Xavier Latournerie.

Idée n° 3 : Préciser la place du chef

Dans les consignes militaires, la place du chef est toujours spécifiée. « Dans l’armée, on a besoin de savoir où se trouve le chef », souligne Xavier Latournerie. Un élément que l’on oublie, parfois, de préciser dans les entreprises.

« Un manager qui se déplace doit s’interroger : est-il à la bonne place au bon moment ? Et ses collaborateurs sont-ils au courant ? », conseille Xavier Latournerie. Les stagiaires, lorsque les mentors énoncent ce principe, comprennent alors qu’il vaut mieux éviter d’abandonner les collaborateurs seuls et sans information dans leurs entreprises.

Idée n° 4 : Rester lucide

Accident de la route, dysfonctionnement de matériel, maladies du troupeau : dans les champs de blé, comme au champ de bataille, on peut être confronté à des situations menaçant l’intégrité physique du salarié. « Dans une situation d’urgence, un soldat doit conserver sa lucidité », rappelle Xavier Latournerie.

La boîte à outils de Saint-Cyr, pour ces cas-là, a donc encore une méthode à offrir. « Il faut évidemment réagir face au présent, en prenant les mesures qui s’imposent. Mais il s’agit ensuite de planifier l’après : comment sort-on de cette situation ? Enfin, il faut communiquer en interne, comme en externe, et informer toutes les personnes qui ont besoin de l’être ».

Idée n° 5 : Retrouver le sens du collectif

« Le cœur de ce qui se vit dans le monde militaire, c’est de se mettre au service de l’autre. Et c’est ce que nous rappelons aux stagiaires. Il faut réaligner les équipes vers l’objectif de la structure ». Ce que les militaires enseignent donc, outre l’art de donner des ordres clairs, c’est le sens véritable du collectif.

Si un salarié ne considère son travail que sous l’angle des avantages personnels qu’il peut y trouver, difficile, en effet, de faire travailler le groupe de manière ordonnée. « Si on n’est là que pour se servir, les autres le ressentent », résume Xavier Latournerie.

C’est sans doute là, dans un sens renouvelé du collectif, que se cache la plus grande originalité de la formation des militaires. Servir, écouter, et partager un objectif commun : loin d’une vision ubérisée du travail, voilà ce que Saint-Cyr propose pour redonner de l’énergie aux équipes.

Ivan Logvenoff