« Souvent, les exploitants sont très bons techniquement, mais ils ne maîtrisent pas le savoir-être en tant que chef », souligne Amaury Walsh de Serrant, ancien parachutiste, devenu exploitant agricole à Sévérac, en Loire-Atlantique. Récemment, encore, l’un de ces voisins, agriculteur lui aussi, est venu lui demander conseil, pour parvenir à mieux déléguer les tâches à son salarié.

Amaury lui a donc parlé de la formation qu’il anime à l’école militaire de Saint-Cyr. Il plonge les managers de tous secteurs dans des situations extrêmes, afin de leur permettre de prendre du recul, et de leur transmettre des méthodes militaires pour mieux gérer leurs salariés. « Les gens se figurent que le commandement à l’armée est strict, mais il est surtout humain. Parce que vous n’emmenez pas des soldats se battre à coup de pied dans le derrière. Ce qu’il faut avant tout, c’est faire naître un sentiment d’appartenance », explique Amaury.

Clé n° 1 : Reconstruire le collectif

C’est sans doute dans ce sens collectif que se tient l’originalité de la formation à Saint-Cyr. Servir, écouter, et partager un objectif commun : voilà ce que les militaires proposent pour cimenter les relations professionnelles. « Si vos salariés n’adhèrent pas au projet de l’exploitation, c’est l’hémorragie de personnel », confirme Amaury. C’est aussi la meilleure façon, selon lui, de fidéliser les salariés. « Les jeunes, surtout, sont très mobiles. Et dès que le travail devient difficile, en hiver par exemple, avec de mauvaises conditions météo, les gens ont tendance à partir. Travailler autour du collectif peut enrayer ce phénomène. »

Pour résoudre les problèmes de turn-over des salariés au sein de l’exploitation, l’ancien militaire préconise de jouer sur tous les fronts. « C’est un ensemble de petites choses : améliorer les rapports humains, tenir compte des problèmes des salariés, ou adapter le temps de travail et les tâches demandées. »

Clé n° 2 : Sortir de sa zone de confort

« Les chefs d’exploitation ont le nez dans le guidon, mais c’est seulement en se mettant dans une situation nouvelle qu’on peut porter un regard plus objectif sur soi en tant que manager », estime Amaury. À Saint-Cyr, ses stagiaires sont plongés dans des situations fictives telles que des tremblements de terre, qui les conduisent, entre autres exercices, à construire ensemble des ponts.

À l’issue des exercices, Amaury organise toujours un débriefing, qui représente le véritable moment charnière des formations. Il s’agit d’évoquer collectivement les différents moments des jeux de rôle, et de revenir sur la dynamique du groupe dans son ensemble. À l’issue du débriefing, chacun prend enfin un moment pour soi, afin de tirer des enseignements de l’aventure pour son quotidien. « Le jeu de rôle apporte un recul, qui permet, une fois rentré à la maison, de repenser sa manière de déléguer les tâches », assure Amaury.

Clé n° 3 : Transmettre ses ordres en laissant de la liberté

« En agriculture, les gens sont très techniques et compétents. Et ce qui est intéressant, avec des gens compétents, c’est de leur donner des consignes pour une semaine ou deux. » Un ordre, chez les militaires, se transmet donc avec une date, mais également un certain degré de liberté, qui permettra au salarié d’atteindre ses objectifs de la manière qu’il juge la plus adaptée. « Ce n’est qu’en laissant une marge de liberté que le salarié se sent responsable de sa mission », souligne Amaury.

Mais cette liberté suppose une bonne compréhension entre le manager et le salarié. Hors de question, donc, selon les militaires d’élite, de laisser une place au hasard. Il existe ainsi à Saint-Cyr une méthode très précise pour transmettre les ordres. « Dans une consigne militaire, il y a toujours une analyse de la situation, un objectif clair, une liste ordonnée des tâches, la mention des points d’attention, et la place du chef », détaille Xavier Latournerie, directeur de la stratégie pour Saint-Cyr formation.

Clé n° 4 : Préciser la place du chef

« Laissez faire le salarié faire jusqu’à la deadline (N.D.L.R., date limite). Mais dès qu’elle est dépassée, il faut demander des comptes », reprend Amaury. Gardant les yeux sur les objectifs initialement fixés, le chef d’exploitation ne doit cependant pas oublier de se rendre disponible pour répondre aux sollicitations. Et les salariés doivent donc être tenus au courant de ses déplacements.

« Les militaires savent toujours où leur chef est positionné, et comment le contacter. Un manager qui se déplace doit ainsi s’interroger : est-il à la bonne place au bon moment ? Ses collaborateurs sont-ils au courant ? », conseille Xavier Latournerie. Mieux vaut, en effet, éviter d’abandonner les collaborateurs seuls et sans information sur l’exploitation, si l’on veut éviter les erreurs et les accidents.

Clé n° 5 : Adopter la bonne posture

« Si les gens arrivent le matin avec une tête de six pieds de long, c’est qu’on n’est pas dans les clous », juge Amaury. Et si les salariés sont peu motivés, c’est certainement que l’encadrement n’est pas adapté. Charge alors, à l’employeur, de se remettre en cause sur ses propres attitudes.

Êtes-vous une source de stress supplémentaire ? Avez-vous la bonne distance avec votre salarié ? Quelle image vos salariés ont-ils réellement de vous ? « Il faut étudier son propre comportement, pour vérifier l’adéquation entre ce que l’on croit, et ce qu’il se passe », conseille Amaury. À Saint-Cyr, si on n’est pas né chef, on peut donc le devenir.

Ivan Logvenoff