Quand Loïc Limouzin s’installe en 1988 sur la ferme familiale, ses frères aînés, Joël et Daniel, officient déjà sur le Gaec depuis plusieurs années.

Faire sa place

Leur mère est alors associée au tandem, et leur père, à la retraite, reste encore très présent. Aussi, pour Loïc, l’un des plus réservés de la fratrie, il s’agit de faire sa place. « Je n’avais pas vraiment de responsabilités au sein de l’exploitation. Je suis le troisième des enfants, et notre père avait surtout misé sur les deux aînés. Ça me laissait le choix au fond… », se souvient Loïc. Mais l’absence de responsabilités ne lui convient pas. « J’avais besoin de faire mes preuves, de montrer que je pouvais réaliser autre chose, et de communiquer également à l’extérieur. Cela n’était pas toujours évident au départ sur la ferme. »

Installé en 1988, Loïc Limouzin est pompier depuis 1991. Sergent-chef, il est en passe de devenir adjudant en octobre 2019. © R. Aries/GFA

Trois ans après son installation, le chef du centre de secours de Saint-Denis-la-Chevasse, en Vendée, lui demande s’il serait d’accord pour devenir pompier volontaire. Loïc saute sur l’occasion. Pas seulement par dépit, mais surtout par conviction. « Cela me faisait rêver depuis que j’étais petit. » Et c’est ainsi qu’en 1991, l’agriculteur s’engage. « Mes frères m’ont suivi », se rappelle-t-il. « On a toujours vu ça d’un bon œil, poursuit Joël, l’aîné. Quand il a fallu lui donner notre accord en tant qu’associé, nous, les aînés, on a fait bloc autour de lui. Et ça a passé », auprès du père.

3 ateliers/6 associés et 1 salarié

Depuis, les trois associés ont été rejoints sur l’exploitation, par le benjamin de la famille, Freddy, puis par Fabien – le fils de Joël, et par Teddy – le fils de Loïc. En résumé, 6 associés travaillent désormais sur l’exploitation.

Freddy Limouzin, le plus jeune des 4 frères, s’occupe en plus de l’élevage de tout le volet comptabilité de l’exploitation. © DR

Il faut aussi ajouter, Yoann – l’autre fils de Loïc. Salarié sur la ferme, il est le deuxième pompier volontaire de l’équipe. C’est dire le casse-tête du côté de l’organisation. D’autant plus que la ferme de 380 hectares assure trois productions : celle du porc avec 300 truies (naisseurs-engraisseurs, les Limouzin fabriquent leurs aliments sur place), celle du lait avec une cinquantaine de vaches et de la viande avec 150 charolaises.

Agriculteur et pompier de père en fils : Yoann Limouzin et son père Loïc. © R. Aries/GFA

Quand Yoann a souhaité devenir pompier à son tour, les associés auraient pu y réfléchir à deux reprises. Mais, « ils m’ont tous donné leur accord. Et cela fait désormais cinq ans que je suis pompier volontaire, comme mon père », souligne Yoann.

Pas de miracle : la famille Limouzin parvient à s’accorder de la souplesse, – à la fois pour les deux pompiers de l’équipe, mais aussi pour Joël, régulièrement en déplacement pour ses responsabilités de vice-président de la FNSEA et président de la chambre d’agriculture de la Vendée –, au prix d’une organisation très huilée.

Une organisation par binôme

Les Limouzin travaillent par binôme, sur des productions attitrées. Ils se répartissent les tâches et communiquent par ailleurs via une plateforme téléphonique, le plus souvent par SMS : « Cela nous permet d’échanger mais aussi de garder une trace écrite de nos échanges », explique Joël. Ils se voient au quotidien et organisent en outre une réunion par semaine portant sur l’organisation du travail.

Pour pallier toute absence, la famille Limouzin s’organise toujours par binôme. Sur la photo : Fabien et Teddy. © R. Aries/GFA

Les questions de fond, comme les projets d’investissement ou les difficultés économiques, sont quant à elles abordées au cours d’une réunion mensuelle, avec un compte-rendu écrit au fur et à mesure de la séance et projeté sur écran. « Pour chaque décision, nous attendons d’avoir l’unanimité des voix. En cas de désaccord, nous la différons pour la faire mûrir », poursuit l’aîné. Enfin, chaque associé réalise un week-end sur six de permanence, suivant un calendrier planifié à l’année. Quant aux imprévus, la famille Limouzin a aussi sa solution.

Une intervention des pompiers par jour

« En tant que pompier, nous pouvons être appelés à tout moment de la journée, explique Loïc. Il est arrivé que Yoann et moi partions tous les deux ensemble. Mais nous faisons quand même en sorte de nous arranger. » Avec les nuits comprises, il faut désormais compter une intervention par jour pour chacun. Une intervention ne peut pas dépasser six heures. Les pompiers ont aussi la possibilité de se mettre en indisponibilité, sauf en cas de permanence. Celles-ci sont à assurer toutes les quatre semaines, de 19 heures à 7 heures le lendemain matin, pendant une semaine.

Yoann Limouzin : « Il faut savoir gérer les pressions des deux côtés, c’est une grosse organisation. Mais j’aime ça. Il faut aussi une part de rêve, j’en avais besoin quand je me suis engagé. » © R. Aries/GFA

Les associés acceptent alors de prendre le relais sur l’exploitation. « Nous nous organisons tous ensemble. Par exemple, quand Loïc me dit qu’il est de permanence, je gère les vêlages. On essaie de prévoir ». Loïc décale ensuite ses horaires. Pour Yoann, le salarié, la donne est un peu différente. « Il est sur une base des 35 heures par semaine. Quand il est parti pendant une demi-journée, son salaire mensuel reste le même. En réalité, il va travailler un peu plus le soir par exemple. Nous nous organisons tous ensemble. » Et quand les deux pompiers sont en formation, le service de remplacement pallie leur absence.

Les agriculteurs, une profession recherchée par les pompiers

Lors de leur formation, Loïc et Yoann sont remplacés sur la ferme par un salarié du service de remplacement. La FDSEA a signé un partenariat avec le service du département, afin de susciter des vocations. © DR

Parmi les pompiers, les agriculteurs sont particulièrement appréciés. « Sur des incendies par exemple, un agriculteur dans l’équipe est une garantie. La technique, ils savent faire, explique Joël Limouzin. Quand il faut prendre une tronçonneuse, en cas de tempêtes et d’arbres tombés, ils savent recourir au télescopique. » Le centre de secours de La Copechagnière-Saint-Denis-la-Chevasse compte 4 agriculteurs sur ses 30 pompiers. « Et ils en prennent soin. » La raison tient aussi au fait que pour intervenir, le pompier volontaire doit se trouver à proximité de la caserne. Or, un agriculteur se trouve toujours sur place, sur son exploitation, ce qui est rarement le cas pour les autres bénévoles qui travaillent pour la plupart à l’extérieur.

« Autrefois, les agriculteurs étaient nombreux parmi les pompiers ; maintenant, c’est rare. Mais d’une façon générale, c’est dur désormais de trouver des volontaires », note Loïc. Sur le département, 58 des 2 400 pompiers volontaires sont agriculteurs.

Rosanne Aries