En décembre 2018, lorsque le magasin Esprit Paysan ouvre ses portes, il n’a pas encore de directeur. Le candidat sélectionné doit arriver quelques semaines plus tard, le temps de finir son préavis.

« On est restés un mois à attendre. Il ne répondait pas à nos appels, il ne prenait pas de nouvelles », se souvient Jérôme Tyrode, directeur du groupement d’employeur rural et agricole de Haute-Saône (Gera), en charge du recrutement pour le magasin.

Comprenant que le candidat leur a fait faux bond, les producteurs doivent alors trouver une solution en urgence. Discrète, travailleuse et connue de tous les producteurs, cette solution s’appelle Apolline Sauvageot. Recrutée initialement en tant que vendeuse pour Esprit Paysan, elle est aujourd’hui directrice du magasin, et responsable en grande partie du succès du projet.

Clé n° 1 : imaginer la montée en compétences

« Au départ, on cherchait à recruter un chef de rayon de la grande distribution, quelqu’un avec de l’expérience », confie Jérôme Tyrodes.

Apolline, quant à elle, n’avait jamais géré de personnel. En apprentissage dans la grande distribution tout au long de son BTS en vente, elle y est embauchée brièvement, avant de démissionner. « Je n’aimais ni l’ambiance, ni les conditions de travail », explique Apolline. Elle travaille ensuite une année chez David Courtoy, l’un des producteurs à l’origine d’Esprit Paysan, avant d’être recrutée par le Gera au printemps 2018, pour recenser les produits du futur magasin.

Apolline s’est imposée comme un choix évident

David Courtoy, éleveur et associé au sein du magasin Esprit Paysan

« On l’avait vue à l’œuvre lors de la première phase, et elle connaissait très bien le projet », se rappelle David Courtoy. Plutôt que d’embaucher un directeur expérimenté, les exploitants parient donc sur la poursuite de la montée en compétences de la jeune femme.

Clé n° 2 : valoriser le savoir-être

« Apolline vit ses produits, elle en parle comme si c’étaient les siens », décrit David Courtoy. Grâce à sa participation au montage du projet, la jeune femme avait déjà tissé des liens avec les producteurs, qui lui ont permis de comprendre les techniques de production. Un atout essentiel dans un magasin où les consommateurs recherchent l’authenticité.

« Dans ce type de magasin, les gens ont le sourire, il y a un a priori de bienveillance, et l’approche de la clientèle doit être différente », estime David Courtoy. Un style de vente à la fois franc et souriant qu’Apolline n’a eu aucun mal à adopter.

Au-delà de la qualité intrinsèque des produits, c’est d’ailleurs aujourd’hui sur la convivialité qu’Apolline et les agriculteurs misent pour dynamiser les ventes. « Une animation a été organisée cet été, et ça a très bien marché. Apolline s’en est rendu compte, et elle a proposé d’en organiser d’autres », poursuit David Courtoy.

Clé n° 3 : valoriser les apports d’une expérience

« Il ne faut pas se tromper. La grande distribution, ce sont nos premiers concurrents », rappelle David Courtoy. Dès le début du recrutement le Gera et les producteurs avaient donc bien identifié l’expérience dans un supermarché parmi les critères de recrutement, mais ils sous-estimaient les apprentissages réalisés à des postes à faible responsabilité.

Apolline, si elle n’avait pas géré de rayon, ni de personnel, avait compris en quelques années de nombreux aspects de la grande distribution. « Il y a des choses vraiment positives à en tirer, comme les commandes, le facing, le réassort [iment] », souligne la jeune femme.

Des compétences pratiques qu’elle met aujourd’hui en œuvre au magasin, et qui étonnent les producteurs eux-mêmes. « Moi, toutes ces choses-là, je n’y comprends pas grand-chose, et je trouve ça fastidieux, mais c’est essentiel », admet David Courtoy.

Clé n° 4 : la motivation avant tout

Apolline est aujourd’hui la responsable directe de deux autres vendeuses plus âgées qu’elle. Le groupement aurait pu également proposer le poste à ces dernières, mais la motivation d’Apolline a fait la différence.

Apolline ou la polyvalence : lorsqu’elle ne gère pas les rayons ou le personnel, Apolline donne un coup de main au rayon du traiteur. © I. Logvenoff/GFA

« Apolline ne compte pas ses heures, et surtout, elle est très polyvalente. Le jour où quelqu’un manque à l’appel, il faut vraiment que la responsable puisse prendre le relais », explique Jérôme Tyrode.

Avec les producteurs aussi, Apolline a dû faire ses preuves. Car s’il n’est pas facile de s’imposer lorsque les producteurs sont à la fois vos patrons, et vos fournisseurs, il y va de la longévité du magasin. « On ne peut pas se permettre d’avoir des produits de mauvaise qualité, mais il faut avoir de l’assurance pour refuser un colis », indique David Courtoy.

Clé n° 5 : dupliquer les réussites

L’expérience a été si concluante avec Apolline que les producteurs ont décidé de recruter la directrice de leur prochain magasin à Luxeuil-les-Bains, en Haute-Saône toujours, suivant les mêmes modalités. Tout comme Apolline, Charlène a travaillé chez David, et elle a également participé au référencement du magasin de Vesoul.

« On ne peut pas mettre ce type de projet dans les mains de n’importe qui », résume David Courtoy. En accordant une nouvelle fois plus de responsabilités à une salariée qui a prouvé à la fois ses compétences et sa motivation, le magasin de Luxeuil devrait être lui aussi un succès.

Ivan Logvenoff