Ils ont passé plus de deux ans à être salariés de la même exploitation à Arnage, au sud du Mans (Sarthe), avant de reprendre l’exploitation de leur employeur. Clément Guibrunet et Alexandre Lefeuvre ne se connaissaient pas avant d’être collègues dans la même cour de ferme. Progressivement, leur projet commun s’est construit. Aujourd’hui, pleinement associés et installés, ils ne regrettent pas cette période de salariat et la juge très utile pour renforcer les fondations de leur collaboration à long terme.
Quand ils dressent le bilan de cette expérience, Clément et Alexandre en tirent trois enseignements et n’hésitent pas à la conseiller aux candidats à l’installation :
- connaître la structure dans ses moindres détails ;
- se connaître soi-même et connaître son associé ;
- connaître parfaitement son projet.
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Connaître la structure
L’enseignement principal qu’ils retirent de cette période de salariat est la connaissance fine qu’ils ont de l’exploitation qu’ils reprennent. Après le décès de son mari, Bernadette Renault poursuit l’exploitation des Herveries à Arnage : 170 hectares, 70 vaches laitières prim’holsteins et des serres de maraîchage. En 2017, le travail est en grande partie effectué par des salariés ou par des entrepreneurs de travaux agricoles.
Quand il est salarié dans cette équipe, mais qu’il envisage déjà de s’installer, Alexandre Lefeuvre s’implique fortement dans la conduite de l’élevage. Il révise la composition des rations en privilégiant le pâturage au détriment du maïs. Alors qu’une partie des génisses était vendue, il demande à les garder pour commencer une politique d’amélioration génétique, quitte à augmenter la consommation fourragère. Au bout de quelque temps, l’amélioration de la moyenne d’étable a été un bon argument économique dans son projet d’installation.
De son côté, Clément Guibrunet se consacre aux cultures des terres. Alors qu’il est entré dans l’équipe des salariés, il obtient de la cheffe d’exploitation la possibilité de faire lui-même le travail à la place des entrepreneurs de travaux agricoles. Pour éviter l’achat de nouveaux matériels, il trouve des solutions provisoires avec les Cuma voisines. Dès qu’il obtient l’accord de co-installation, il poursuit cette politique : il part sur les routes de France pour acheter du matériel d’occasion en refusant la reprise du matériel existant qu’il juge inadapté à son projet.
En développant leur projet d’installation, les deux salariés se rendent compte de l’importance de l’accès à l’eau pour la viabilité de l’exploitation, mais une question d’indivision leur bloque l’accès aux deux forages existants. Ils mènent alors un travail pour passer un contrat avec une exploitation voisine. À l’inverse, les serres de maraîchage n’entrent pas dans leur projet alors qu’elles étaient une part importante de l’exploitation de Bernadette Renault. Avant son départ à la retraite, ils l’incitent à céder cette partie à un autre agriculteur.
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Se connaître et connaître son associé
Clément Guibrunet et Alexandre Lefeuvre sont tous les deux diplômés d’un BTS ACSE, mais ne se connaissaient pas avant de travailler sur la même exploitation. Ils prennent progressivement conscience de la complémentarité de leurs caractères. Ils se décrivent tous les deux comme, du côté d’Alexandre Lefeuvre, un homme tout en retenue, et, du côté de Clément Guibrunet, un homme engagé qui veut aller vite. Ils se parlent tous les jours pour bien caler leur fonctionnement en permanence.
Et ils se répartissent les domaines de responsabilités. Fils d’agriculteur et titulaire d’un CS en machinisme, Clément Guibrunet se consacre à l’exploitation des terres. Il révise l’assolement pour favoriser le fourrage. Cette idée rejoint la vision d’Alexandre Lefeuvre, dédiée aux animaux, qui privilégie le pâturage et l’autonomie alimentaire.
Clément Guibrunet n’imaginait pas s’installer en dehors de l’agriculture biologique. Il tient à entamer la conversion des parcelles le plus rapidement possible. En revanche, Alexandre Lefeuvre, bien que favorable à cette évolution, préfère se laisser du temps pour la préparer.
Avec le centre de gestion CER France, Clément Guibrunet et Alexandre Lefeuvre ont mené en juin 2018 un travail d’analyse de leurs relations grâce à la méthode OPR (optimisation du potentiel relationnel). Ils ont ainsi confirmé leur capacité à travailler ensemble. Et ils s’en sont servi pour impliquer leurs compagnes respectives, invitées dans la dernière phase de leur analyse, afin qu’elles aient bien conscience des conséquences de leur projet d’installation.
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Connaître son projet
La reprise de l’exploitation a connu un cheminement de plusieurs années avant d’aboutir. En 2016, alors qu’il est encore salarié d’un groupement d’employeurs local, Alexandre Lefeuvre travaille à mi-temps sur l’exploitation de Bernadette Renault à la suite d’une première approche de reprise rapidement infructueuse. C’est là que l’idée de s’installer, seul au départ, a continué de germer dans son esprit. Il connaît mieux l’exploitation. Avec cette idée en tête, il avait déjà commencé à travailler le potentiel génétique du troupeau. Il présente un projet viable, mais risqué, devant la banque en octobre 2017.
Son envie est alors de reprendre la structure telle quelle : 170 hectares, 70 vaches laitières et des serres de maraîchage. Mais des questions d’indivision ralentissent l’accès au foncier et tout son projet d’installation.
Pendant ce temps-là, Clément Guibrunet est entré dans l’équipe des salariés. Lui-même aurait pu envisager de s’installer avec son père, dans un village voisin, mais il ne se projetait pas dans ce projet au quotidien. En tant que salarié, il se consacre à l’exploitation des terres.
À force de le côtoyer, il propose à Alexandre Lefeuvre de rejoindre son projet. Au rythme des aléas de l’accès au foncier et aux forages, ils révisent plusieurs fois le périmètre de leur étude d’installation. Finalement, leur dossier passe en CDOA (commission départementale d’orientation agricole) en novembre 2019 et ils peuvent s’installer au 1er octobre.
Aujourd’hui, ils exploitent en Gaec 110 hectares loués à une dizaine de propriétaires et élèvent 80 vaches laitières. Les serres ont été vendues séparément à un autre agriculteur parce qu’elles ne les intéressaient pas. Ils commenceront la conversion en agriculture biologique en mai 2020 pour les cultures et ils prévoient de le faire dans trois ans pour l’élevage.

Les deux exploitants ont appris à se connaître pendant leur période de salariat. © E. Young
Éric Young