Les heures supplémentaires effectuées par un salarié doivent obligatoirement lui être payées à un taux majoré. Mais ne serait-il pas possible de les lui verser, au moins pour une part, sous forme de prime exceptionnelle ? Très mauvaise idée ! Le versement d’une prime à titre de règlement des heures supplémentaires est un cas classique de travail dissimulé. Il fait peser un risque fort de réclamations salariales, notamment sous forme de rappels de salaires sur les heures supplémentaires, et de dommages et intérêts sur les épaules de l’agriculteur employeur.
Un encadrement strict
Les heures effectuées au-delà de la durée légale du travail (35 heures par semaine ou 151,67 heures mensuelles) sont considérées comme des heures supplémentaires. Le nombre maximal annuel d’heures supplémentaires est limité par le code du travail ou la convention collective de branche dont dépend l’employeur ou par un accord de branche : il s’agit du contingent annuel d’heures supplémentaires.
Depuis les ordonnances Macron de 2017, un accord d’entreprise peut être légalement, sur ce point, plus défavorable aux salariés que la convention collective, en prévoyant un contingent annuel d’heures supplémentaires de 400 heures par exemple. Les heures supplémentaires se calculent à la semaine et pas au mois. Il n’est pas possible de les reporter d’une période à une autre, sauf en cas d’aménagement du temps de travail et notamment d’annualisation du temps de travail.
L’annualisation n’est pas un argument
L’annualisation du temps de travail, établie par un accord d’entreprise ou prévue par la convention collective de branche, ne réduit pas les heures supplémentaires à néant. Si elle accorde une certaine souplesse dans l’organisation du travail entre les semaines de basse activité et celles de haute activité, indiquées dans un planning prévisionnel au début de l’année de travail, elle n’exonère pas l’exploitant de bien comptabiliser les heures de travail effectif. Le décompte des heures supplémentaires et leur paiement interviennent à la fin de la période annuelle de travail.
Une majoration de salaire
Le paiement des heures supplémentaires donne lieu à une majoration de salaire. Le taux de majoration est défini par un accord collectif d’entreprise ou par la convention collective de branche dont dépend l’employeur. Les taux de majoration conventionnels ne peuvent pas être inférieurs à 10 %.
À défaut de dispositions contraires dans la convention collective, ce sont les taux de majoration légaux du code du travail qui s’appliquent :
- 25 % pour les huit premières heures supplémentaires travaillées dans la même semaine ;
- 50 % pour les heures suivantes, dans la limite du plafond légal hebdomadaire (ou annuel s’il existe un accord d’annualisation).
Sous certaines conditions, le paiement des heures supplémentaires peut être remplacé par un repos compensateur équivalent (qui comprend impérativement un taux de majoration équivalent. Par exemple, si le taux de majoration est de 25 %, pour une heure supplémentaire, le salarié a droit à 1h15 de repos compensateur équivalent).
La prime ne remplace pas le paiement des heures
« Certaines entreprises, compte tenu de leur situation de trésorerie assez exsangue, ne peuvent assumer le coût financier engendré par la rémunération de l’intégralité des heures supplémentaires. Le versement d’une prime ne peut se substituer au paiement des heures supplémentaires, y compris si le montant de la prime correspond au paiement majoré dû au titre des heures supplémentaires effectuées. Il s’agit d’une grave erreur puisque l’employeur risque de payer le salarié deux fois ! », réagit Laurent Schulz, juriste au cabinet Fiteco (Eure) membre du groupement AgirAgri.
Un fort risque pour l’employeur
Un salarié, même s’il avait bénéficié d’une prime équivalente au montant des heures supplémentaires dues, pourrait saisir le conseil des prud’hommes pour obtenir le paiement des heures supplémentaires. Du fait de la foisonnante jurisprudence sur ce point, les juges lui accorderaient certainement non seulement le rappel des salaires sur les heures supplémentaires et les congés payés qui y sont liés (10 % du montant du rappel de salaire) mais aussi un dédommagement et le paiement des frais de justice par l’employeur.
Un départ qui coûte cher
Par ailleurs, si un salarié quitte l’exploitation, il est en droit de réclamer le paiement de toutes ses heures supplémentaires. Si elles ont été versées en prime, en totalité ou seulement pour une part, elles n’apparaissent pas sur ses feuilles de paye. Le juge des prud’hommes considérerait cette absence de déclaration des heures supplémentaires réalisées par le salarié comme une dissimulation d’activité qui est une catégorie de travail dissimulé. Cet agissement est expressément prohibé par le code du travail (art. L. 8221-5).
Il peut même encore coûter beaucoup plus cher à l’agriculteur. La situation peut se retourner contre lui si un jour le salarié veut quitter l’exploitation aux frais de l’exploitant : en prenant acte de la rupture pour non-paiement des heures supplémentaires, la juridiction pourra considérer qu’il s’agit d’une faute grave de l’employeur, compte tenu de leur volume. Alors, la rupture prise à l’initiative du salarié aura les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’employeur devra donc non seulement lui verser un rappel de salaires sur les heures supplémentaires et les congés payés y afférents, mais également une indemnité de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis et des dommages et intérêts pour licenciement abusif.
L’exploitant ne pourrait pas faire valoir sa bonne foi. La Cour de cassation (Cass. soc. du 21 mai 2014, pourvoi 13-16231) a jugé à plusieurs reprises que, lorsque l’employeur paie les heures supplémentaires sous forme de prime, il est l’auteur de l’infraction puisqu’il ne peut pas sérieusement contester l’avoir intentionnellement commis.
Un risque de contrôle
Avant même qu’une juridiction judiciaire soit saisie de l’affaire, l’infraction peut être constatée au moment d’un contrôle de l’inspection du travail ou de la MSA ou de l’Urssaf. Les contrôleurs pourraient légitimement enquêter puisque le respect du droit du travail est une condition nécessaire pour bénéficier de la défiscalisation de certaines heures supplémentaires ou des déductions Fillon sur les bas salaires, par exemple.
Au moment de leur enquête, un salarié peut leur relater, même sans intention de nuire à son employeur, que ses heures supplémentaires sont versées en primes. L’inspecteur peut aussi être alerté par un montant élevé de primes dans le bilan de l’exploitation. Alors il transmettra son procès-verbal au procureur de la République qui pourra engager des poursuites contre l’exploitant pour travail dissimulé.
« Les conséquences pénales de ce délit ne sont pas anodines. L’employeur encourt deux types de peine : l’employeur personne physique encourt une peine d’emprisonnement de trois ans et 45 000 euros d’amende ; l’employeur personne morale (société ou autre groupement) encourt une amende de 225 000 euros », prévient Laurent Schulz.
De plus, l’employeur peut faire l’objet d’une fermeture temporaire de l’entreprise pour trois mois au maximum par arrêté préfectoral. « Mieux vaut raison garder et ne pas substituer le règlement des heures supplémentaires par le versement d’une prime », résume Laurent Schulz.