Les salariés agricoles ou les agriculteurs hésitent-ils à demander un arrêt de longue durée ?

Le comportement des salariés de la production agricole ne diffère pas de celui de l’ensemble de la population au travail. Les exploitants agricoles, quant à eux, font moins appel aux arrêts de travail même s’ils bénéficient, certes depuis récemment, des indemnités journalières en cas d’accident ou de maladie. D’une façon générale, les préoccupations en santé du reste de la population active sont les mêmes que celles du monde agricole.

Au retour d’un arrêt de longue durée, constatez-vous une « désinsertion professionnelle » ?

Dans l’ensemble, le retour d’un arrêt de longue durée est toujours une situation délicate mais on ne peut pas le réduire à un comportement unique. Certains demandent leurs droits à la retraite, éventuellement en passant par une courte période de chômage. Certains se réinterrogent sur leur évolution professionnelle en entamant une reconversion.

Certains admettent qu’ils doivent désormais vivre avec leur pathologie, qu’elle soit une maladie chronique ou un handicap. Il est indéniable que c’est une période de changement qui ne se fait pas en « claquant des doigts ».

Les causes des arrêts de longue durée sont-elles davantage psychiques ou physiques ?

Au sein des médecins-conseils de la MSA Île-de-France, nous sommes convaincus que nous vivons une évolution franche depuis dix ans. Nous constations beaucoup d’arrêts liés à l’appareil locomoteur, en particulier du rachis et des troubles musculosquelettiques.

Désormais, on voit ces derniers baisser et on constate une augmentation des troubles psychologiques. C’est une tendance de fond qu’on observait même avant le confinement et la crise sanitaire de 2020.

Il y aurait donc plus de souffrances psychologiques ?

C’est possible, mais on peut aussi avancer une autre explication : la libération de la parole pour signifier une souffrance psychologique. Maintenant, on peut dire sa douleur alors qu’auparavant celle-ci pouvait prendre des chemins détournés.

La MSA Île-de-France a mené une expérience de prise en charge des personnes en arrêt de longue durée. Pourquoi ?

L’intuition à l’origine de cette expérience réside dans une situation paradoxale constatée sur le terrain. La France bénéficie d’un système généreux de prise en charge des arrêts de travail et il existe de nombreux dispositifs d’accompagnement. Mais la coordination des dispositifs est très mal assurée, ce qui peut être préjudiciable pour les bénéficiaires.

Nous pensons qu’il faut assurer plus de liens dans la chaîne d’accompagnement et qu’il conviendrait de créer un nouveau métier : un « case manager », c’est-à-dire une personne qui possède une connaissance panoramique des systèmes sanitaires et socioprofessionnels de santé, et qui offre aux assurés une plus grande qualité d’accompagnement. Il doit établir une relation de confiance dans la durée avec l’assuré. La MSA se sent légitime à mener ce travail parce qu’elle a déjà une longue pratique de guichet unique pour ses assurés.

Ce système permet-il de garantir le retour à la vie professionnelle ?

Je vous mets en garde tout de suite sur l’intention contenue dans votre question dans les termes « retour à la vie professionnelle » ! Nous préférons « retour à une vie active ». Notre objectif n’est pas de remettre la personne à son poste le plus vite possible comme si rien n’avait changé. Notre intention est de l’accompagner dans sa vie, unique et considérée dans sa globalité.

C’est un dispositif centré sur la personne et on a déjà vu qu’elles vivent ces changements différemment les unes des autres. Le sujet que nous traitons est multifactoriel, et il n’est pas possible d’établir un lien direct entre notre action et l’état de l’assuré accompagné. Mais si, au minimum, nous empêchons les gens de s’enfermer dans des impasses, nous pouvons être satisfaits.

La MSA est-elle seule à mener cette expérience ?

La MSA Île-de-France a démarré l’expérience « Retour à une vie active » dès 2016. Les caractéristiques de l’Île-de-France sont telles que l’action concerne une majorité de salariés, mais les conclusions sont valables pour toutes les autres régions ainsi que pour les exploitants agricoles.

Nous menons ce travail avec l’assureur Agrica, qui avait la même intuition que nous, et avec des prestataires qui réalisent cet accompagnement individuel personnalisé et renforcé sous forme d’entretiens, de conseils d’orientations ou d’activations de dispositifs.

Comment un assuré peut-il bénéficier de cet accompagnement ?

Ce sont les médecins du travail, les médecins-conseils ou les assistantes sociales de la MSA qui signalent les situations individuelles à notre cellule de prévention de désinsertion professionnelle.

Par ailleurs, un courrier MSA/Agrica est adressé aux assurés agricoles en arrêt de travail depuis six à douze mois. Ce premier ciblage est important parce que l’entrée dans l’accompagnement ne doit pas avoir lieu trop tôt ou trop tard.

La MSA propose alors l’accompagnement à l’assuré. Entre 2016 et 2017, une soixantaine d’assurés ont bénéficié de ce dispositif.

Quels enseignements avez-vous tiré de cette expérience ?

Nous avons appris plusieurs choses. Tout d’abord, l’arrêt de travail de longue durée contient un risque d’isolement. Mais c’est une association d’éléments qui conduit à ce risque. L’accompagnement renforcé et prolongé est efficace et suffisant pour beaucoup de personnes.

Nous entrevoyons la création d’un nouveau métier exigeant des compétences complexes. Il correspond à la logique du guichet unique de la MSA et nous espérons que les ministères de tutelle de la MSA manifesteront une certaine curiosité puisque nous sommes au moment de la négociation de notre prochaine convention d’objectif et de gestion.

Quel retour vous ont fait les personnes qui ont bénéficié de cet accompagnement ?

Un des effets indirects qui nous a été rapportés, c’est que l’accompagnement renforcé et prolongé favorise l’acceptation de ses limites, atteintes à l’occasion de cet arrêt de longue durée. Les personnes découvrent à cette occasion qu’il y a d’autres possibilités pour poursuivre une vie active. Nous les aidons à découvrir un chemin entre le déni, où on fait comme si rien ne s’était passé, et l’impasse, qui peut se traduire par la dépression.

Recueillis par Éric Young