Installé en 1979, Christian Pierre exploite une centaine d’hectares de légumes bio pour l’industrie à Pécy (Seine-et-Marne). La quasi-totalité de son besoin de main-d’œuvre a pour objet le désherbage à la main qui vient compléter un premier travail mécanique. Le conditionnement des tomates et le stockage des courges complètent la fin de saison.
Une équipe permanente et des saisonniers
L’équipe permanente est constituée de trois salariés, en plus de lui-même. Ensuite, il embauche à partir de mai pour monter en puissance jusqu’à plus d’une vingtaine de salariés en septembre. D’habitude, il travaille avec des saisonniers étrangers qu’il embauche pour trois à six mois.
Cette année, comme toute l’agriculture française, Christian Pierre n’a pas pu compter sur eux en début de saison. Échaudé par des expériences insatisfaisantes dans le passé, il avait abandonné depuis six ans la recherche de main-d’œuvre locale. Cette fois, il tente le coup par le site internet Jobagri (1) pour la première fois. Son besoin était restreint à quelques personnes en mai.
Deux embauches pour la saison
« J’ai été plutôt satisfait de la bonne volonté des candidats. La fiche de poste sur le site est assez simple. J’ai reçu pas mal d’appels à qui j’ai dû répondre par la négative : ils habitaient trop loin ou ils n’avaient manifestement pas les compétences. J’ai refusé la plupart des étudiants parce qu’ils ne pouvaient pas s’engager assez longtemps dans le travail de la saison », se souvient Christian Pierre.
Finalement, il embauche six personnes. L’un s’en va au bout de quelques heures parce qu’il ne correspond pas aux objectifs professionnels demandés, un autre part au bout de trois jours par manque d’enthousiasme, deux autres ont repris leur travail ou ont trouvé un travail qui correspond à leur formation.
Aujourd’hui, les saisonniers habituels étrangers sont revenus mais, de ce recrutement urgent du confinement, il reste deux personnes qui vont finir la saison : un étudiant qui reprendra le chemin de l’Université à l’automne si elle rouvre, et un travailleur qui apporte tellement de satisfactions que Christian Pierre envisage de lui proposer un CDI.
Il avait déjà vécu une expérience semblable. Un jeune qui avait donné un coup de main durant l’été il y a trois ans a pris progressivement le rôle de chef d’équipe. « Je me place plutôt dans l’idée de faire confiance a priori », résume-t-il.
Attirer les candidats
Isabelle Bispo, chargé de mission de l’Anefa dans la Région Centre-Val de Loire, souligne que l’employeur a intérêt à anticiper ses postes s’il veut être attirant pour les candidats. « Il faut déterminer assez tôt et assez précisément les besoins de main-d’œuvre sur l’exploitation : combien, à partir de quand et jusqu’à quand, à temps plein ou partiel, quel niveau d’expérience au préalable… », explique-t-elle au cours d’un séminaire de la filière des légumes le 26 juin 2020.
Ensuite, l’attractivité dépend de plusieurs facteurs. Certains ne sont pas dans les mains de l’exploitant comme la localisation (proche d’un bassin de vie, possibilité de transport) ou le contexte économique. Mais d’autres critères peuvent être mieux contrôlés par l’employeur : la durée du contrat, le logement sur place, la flexibilité ou non des horaires, et les salaires. En agriculture, la rémunération est modeste mais il ne faut pas hésiter à mettre en avant les compléments par les heures supplémentaires, les primes sur objectif ou les petits avantages en nature.
Enfin, d’autres critères relèvent des aspects humains du travail comme la bonne ambiance et les particularités de l’exploitation. On voit de plus en plus fréquemment des salariés qui choisissent de ne travailler que dans les exploitations biologiques, ou qui vont plus facilement travailler pour des produits de niche (AOC, restauration, etc.). Le projet d’entreprise peut être un argument supplémentaire pour attirer les meilleurs salariés.
L’occasion d’un dialogue social
Dans la Région Centre-Val de Loire, Philippe Noyau embauche 25 CDD d’une durée d’un à deux mois pour récolter des asperges vertes à Nourray (Loir-et-Cher). Il actionne le bouche-à-oreille local et il fait appel à la plateforme de Wizifarm « Des bras pour ton assiette ». « Je recevais plus de deux appels par jour », se souvient-il.
Il retient surtout de cette expérience le « formidable moment humain » qu’elle a été. Il a rencontré des travailleurs engagés qu’il n’aurait pas vus si facilement en temps ordinaire : des restaurateurs, des employés du prêt-à-porter, un colonel jeune retraité, etc. « Ça a été aussi un moyen de faire connaître l’agriculture. Depuis que la saison est finie, ils reviennent voir l’évolution des asperges », témoigne-t-il.
Sans sacrifier aux exigences de productivité, Philippe Noyau et ses deux associés ont utilisé cette période pour renforcer le dialogue social. La révision du document unique d’évaluation des risques (DUER) pour tenir compte du Covid-19 a été un moment de partage et de discussion avec les salariés. D’ailleurs, le document a été amendé grâce à ce dialogue.
Donner du sens au travail
« Pour fidéliser les salariés en général, il est important de leur accorder une certaine attention, reprend Isabelle Bispo. Elle passe par l’accueil qu’on leur réserve en leur présentant l’entreprise, les produits, les lieux et les personnes. L’employeur doit s’efforcer de donner du sens au travail qu’il demande : expliquer le cycle de production, montrer l’impact que le travail du salarié a sur la qualité du produit, et bien sûr reconnaître le travail réalisé. »
(1) propriété de NGPA, propriétaire également de La France agricole.