La charge de la preuve des heures supplémentaires non rémunérées fait l’objet de nombreux contentieux dans le monde du travail. À vrai dire, le code du travail n’aide pas à y voir immédiatement clair : Il « institue à l’article L. 3171-4 un régime de preuve partagée entre l’employeur et le salarié des heures du travail effectuées. Les obligations de l’employeur, relatives au décompte du temps de travail, sont quant à elles prévues par les articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du même code », explique la Cour de cassation en commentant son arrêt du 18 mars 2020 qui porte justement sur la preuve des heures supplémentaires (pourvoi n° 18-10.919).
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Par cet arrêt, la Cour de cassation abandonne une notion qui s’était développée au fil des ans : l’étaiement. Elle était une source de confusion avec la notion de preuve. Désormais, le salarié n’a plus à étayer sa demande mais à fournir des éléments de preuve. Ceux-ci doivent donc être suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies. L’employeur peut alors lui répondre avec d’autres éléments suffisamment précis à son tour.
Le cas sur lequel la Cour était saisie était celui d’un cadre d’un bureau d’expertise immobilière. Il avait saisi les prud’hommes au titre, notamment, de nombreuses heures supplémentaires non payées. Il avait été licencié par la suite. Débouté par la cour d’appel de Versailles, il avait sollicité la Cour de cassation au motif que le jugement de la cour d’appel de Versailles revenait à faire porter la charge de la preuve uniquement sur le salarié.
Un code compliqué
La question méritait d’être posée parce que son historique judiciaire est assez fourni en complication progressive. Le code du travail lui-même estime que la preuve relève du salarié et du patron bien que ce soit ce dernier qui doit contrôler les heures du premier.
En 2004, la Cour de cassation (pourvoi 01-45.441) annonce que le salarié doit apporter au juge des éléments de preuve de nature à étayer sa demande.
En 2010 (pourvoi n° 09-40.928), elle apporte une précision : il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments. « Il s’agissait alors de souligner que, parce que le préalable pèse sur le salarié et que la charge de la preuve est partagée, le salarié n’a pas à apporter des éléments de preuve mais seulement des éléments factuels, pouvant être établis unilatéralement par ses soins, mais revêtant un minimum de précision afin que l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail accomplies, puisse y répondre utilement », explique la chambre sociale de la Cour de cassation dans son bulletin de février 2020.
Par la suite, les différentes saisies ont permis de définir ce qu’étaient des éléments suffisamment précis : des décomptes d’heures, des relevés de temps quotidiens, un tableau, des fiches de saisies informatiques sur l’intranet de l’employeur. Et ce, qu’ils aient été produits avant ou après la saisie des prud’hommes.
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Quels sont les éléments de preuve ?
Dans les motivations de son arrêt du 18 mars 2020, la Cour de cassation précise encore certains points. Les témoignages ou les courriers électroniques que le salarié pourrait fournir pour donner des indices de la violation de ses droits ne permettent pas d’établir de manière objective et fiable le nombre d’heures effectives du salarié. D’un autre côté, la Cour rappelle qu’il revient aux employeurs de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer de façon fiable la durée effective du temps de travail quotidien de chaque salarié, bien que l’Europe admette qu’il faut tenir compte des particularités de chaque secteur d’activité et de certaines entreprises.
Cet arrêt permet d’abandonner la notion d’étaiement et redonne une méthode pour apprécier la réalité des heures supplémentaires non rémunérées. Le salarié apporte des éléments précis à l’appui de sa demande. Puis l’employeur, auquel il revient de mettre en place un contrôle des heures de travail effectuées, peut y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Au passage, la Cour de cassation rappelle que le juge évalue souverainement le préjudice et son montant sans avoir à préciser le détail de son calcul. « Les juges, dès lors que le salarié a produit des éléments factuels revêtant un minimum de précision, se livrent à une pesée des éléments de preuve produits par l’une et l’autre des parties, ce qui est en définitive la finalité du régime de preuve partagée », conclut la Cour de cassation dans son commentaire.
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