Le confinement du 17 mars 2020 a plongé dans la réflexion les trois gérants des Jardins d’Imbermais. Cette exploitation de 188 hectares au sud de Dreux (Eure-et-Loir) emploie neuf salariés en permanence et une dizaine de saisonniers. Son modèle économique est principalement orienté vers le grand public : magasin à la ferme, cueillette sur place, visite pédagogique, produits du terroir.

« S’adapter à la nature en permanence »

« On a l’habitude de s’adapter à la nature en permanence, se souvient Jean-Luc Gauthier, un des trois exploitants qui se sont regroupés en Gaec frères-soeur il y a 31 ans. Là, le choc sanitaire nous a plongés dans l’incertitude au moment même où on réinvente la saison comme chaque année. »

Les responsables ont donc priorisé les problèmes au fur et à mesure des connaissances : protéger les salariés, trouver des solutions avec toute l’équipe, passer les consignes et donner un rôle aux salariés dans la protection des clients.

Protéger les salariés

À l’annonce du confinement, à la mi-mars, la priorité a consisté avant tout à protéger les salariés. Déjà soumise aux normes d’hygiène liées à l’accueil du public et aux produits alimentaires, l’équipe des neuf salariés permanents adopte immédiatement les mesures nouvelles : nettoyage renforcé des plans de travail, lavage fréquent des mains, application du gel hydroalcoolique et port du masque.

La semaine précédente, les exploitants avaient commandé des plexiglas en vue de les poser à la caisse du magasin à la ferme. Immédiatement, son installation s’est accompagnée de la définition d’un parcours des clients dans le magasin.

La petite salle de réfectoire au-dessus du magasin a été condamnée. Pour la dizaine de personnes qui y mangent habituellement, les exploitants ont ouvert le préau en plein air qui sert normalement de lieu de goûter pour les enfants en visite pédagogique. De toute façon, il était interdit au public. Les tables sont suffisamment espacées pour respecter la distanciation entre les salariés telle que recommandée par les autorités.

Les employeurs ont demandé aux salariés de maintenir les portes des vestiaires entrouvertes pour ne pas toucher les poignées. L’habillage en tenue de travail se fait chez les salariés et les vestiaires ne servent qu’à changer de chaussures ou entreposer les affaires personnelles dans les casiers fermés.

Sur l’ensemble du site, qui compte les bâtiments d’exploitation, le magasin, le départ de la cueillette et les activités pour les enfants, un zonage strict a été marqué par des barrières et un rappel des règles : les salariés de la production ne peuvent pas entrer dans le magasin destiné au grand public, les balades des curieux sont interdites, etc.

Trouver des solutions participatives

Même si l’urgence sanitaire demandait d’être ferme, l’équipe a fait participer les salariés à la recherche de solutions. « Nous n’avons pas eu de défection ou de demande au titre du droit de retrait. Les salariés ont été plutôt demandeurs de consignes et moteurs dans l’action. Nos permanents sont aussi des parents : ils ont été sensibilisés autant que nous à l’importance de la situation », explique Jean-Luc Gauthier. L’équipe décide de fermer la zone où elle prend le café habituellement.

Le confinement tombait en plein dans la période de recrutement des saisonniers. Les Jardins d’Imbermais n’embauchent que du personnel local. Les entretiens se sont tenus dans le préau à bonne distance. À vrai dire, le confinement a facilité les recrutements puisque les étudiants, principal profil des saisonniers dans l’exploitation, étaient plus disponibles que d’ordinaire.

Passer les consignes

L’exploitant en charge des questions managériales est Patrick Gauthier, un des trois associés. Tous les lundis matin, il dresse un état des lieux avec son frère, Jean-Luc, et sa sœur, Christine Cernay. Ensuite, il réunit l’équipe pour transmettre les consignes sanitaires nouvelles ou les rappeler chaque semaine.

Tant que l’équipe n’était composée que des salariés permanents, un rappel tous les matins et l’affichage des règles sanitaires dans chaque zone de travail suffisaient. Avec l’embauche des saisonniers, Patrick Gauthier a choisi de faire jouer aux permanents un rôle de transmission des bonnes pratiques. Ils leur apprennent à nettoyer les cabines des tracteurs avant et après chaque passage, à nettoyer régulièrement les outils, à porter les équipements de protection, à respecter le zonage entre la production et l’accueil du public.

L’adoption de cette chaîne de transmission a été faite parce que les saisonniers sont assez novices dans le monde du travail et que cette jeunesse demande un rappel permanent avant d’intégrer ces habitudes dans ses gestes quotidiens.

Responsabiliser les salariés

Les salariés ont été aussi mis à contribution pour faire respecter les consignes sanitaires aux clients. Le port du masque était obligatoire dans le magasin. Il a fallu expliquer la limitation du nombre de clients en même temps entre les rayons. « À vrai dire, ça a été assez facile parce que les clients eux-mêmes se sont rangés dès le premier jour en file indienne espacés les uns des autres le long des plots qu’on avait installés. Ils attendent qu’un autre client sorte pour entrer à leur tour », se réjouit Pascal Gauthier.

Lorsque la cueillette a rouvert le 11 mai, il revenait aux salariés, permanents ou saisonniers, de faire respecter les contraintes : une seule personne par famille dans les serres, nettoyage des mains avec le gel hydroalcoolique fourni avant de s’emparer des brouettes mises à disposition, non-franchissement des zones autorisées, etc. C’est au salarié qui s’aperçoit d’un écart de rappeler les règles aux clients.

Certains saisonniers, plus jeunes, n’osent pas encore le faire et le signalent dans la réunion bilan du soir. Patrick Gauthier leur répond qu’ils ont toute légitimité pour le faire. Ils ont déjà ce rôle en temps ordinaire quand ils repèrent un client qui chaparde ou qui cueille dans une zone réservée à l’exploitation.

Un protocole de déconfinement

La douzaine de cueillettes à la ferme du département avait travaillé avec la chambre d’agriculture pour proposer au préfet un protocole sanitaire avant le déconfinement. Le préfet ne l’a pas accepté, mais le protocole est devenu spontanément la règle dans toutes ces exploitations depuis le déconfinement du 11 mai.

En revanche, les exploitants des Jardins d’Imbermais ne savent pas encore comment reprendre les visites pédagogiques. Plusieurs visites, prévues en mai, ont été reportées. Pascal Gauthier sait déjà qu’il devra revoir son parcours de visite : goûter les produits en piochant dans le même récipient ou observer les insectes en approchant les têtes, par exemple, il sait qu’il ne pourra plus le proposer. Mais il tient à reprendre cette activité parce qu’il pense qu’elle est un mode d’éducation des enfants… qui seront peut-être un jour un des étudiants qui entreront dans l’équipe des saisonniers des Jardins d’Imbermais.

Les clients des Jardins d’Imbermais ont accepté un zonage de leur parcours, des mesures de protection des salariés et l’application des gestes barrières. © E. Young

Éric Young