En 2014, Jean-Philippe Granger est associé à son beau-frère au sein du Gaec des Cyprès, à Notre-Dame-de-Sanilhac, en Dordogne, lorsque Jérémy Malaret se présente sur la ferme. Il est recommandé par un collègue qui cultive les fraises à quelques kilomètres.
« Notre service de remplacement avait des difficultés, et il nous fallait de la main-d’œuvre pour combler mes absences dues à mes responsabilités à la chambre », se souvient Jean-Philippe. Face à Jérémy, qui lui demande de devenir apprenti, Jean-Philippe n’hésite pas longtemps. « Je ne connaissais pas l’apprentissage, mais on s’est dit pourquoi pas », s’amuse Jean-Philippe.
De l’apprenti consciencieux au salarié autonome
« Tout de suite, j’ai senti la passion qu’il avait du métier », raconte Jean-Philippe. Au cours de deux années, lui et son associé s’efforcent de transmettre leur savoir à l’étudiant, qui progresse rapidement sur le plan technique. « Le jour où il a terminé son apprentissage, il pouvait assumer seul toutes les tâches sur la ferme. »
À l’issue de ses deux premières années sur la ferme, l’autonomie de Jérémy amène les associés du Gaec à lui proposer un CDD de six mois, suivi immédiatement d’un CDI.
On avait confiance en lui, il cherchait un emploi, c’était du gagnant-gagnant.
Jean-Philippe Granger à propos de son salarié Jérémy
Mais en 2017, nouveau coup de théâtre sur la ferme : le beau-frère de Jean-Philippe annonce qu’il quittera le Gaec en 2019. Jean-Philippe décide alors de présenter toutes les options à son salarié. « Je ne savais pas si j’allais chercher un associé, si je restais tout seul avec des salariés, ou si je continuais le lait », confie l’exploitant.
Les qualités d’un chef d’entreprise
« De mon côté, je comptais reprendre l’exploitation de fraises de mon beau-père, pour la convertir à l’allaitant, mais ça n’a pas marché de ce côté-là », se rappelle Jérémy. Alors, lorsque Jean-Philippe évoque une éventuelle association, il saute sur l’occasion.
« Jérémy s’est positionné très rapidement », confirme Jean-Philippe. Un souhait dont l’employeur ne s’est pas étonné, puisqu’il avait déjà remarqué chez son salarié les qualités nécessaires à un chef d’entreprise.
Jérémy avait un intérêt évident pour le métier, une forte capacité d’initiative, ainsi que des facultés à analyser, et à anticiper.
Jean-Philippe Granger à propos de son nouvel associé
Jérémy aurait dû s’installer officiellement en mai 2019, mais un départ plus rapide que prévu du beau-frère de Jean-Philippe a précipité le processus. Avec 25 % des parts, Jérémy est ainsi devenu l’associé de Jean-Philippe en avril 2018. « En tant qu’élu, je connaissais bien les démarches d’installation, et ça aide », reconnaît Jean-Philippe.
S’approprier les réalités économiques d’une exploitation
« Six mois après son installation, Jérémy s’est métamorphosé », s’étonne Jean-Philippe. Le point sur lequel son nouvel associé a le plus progressé : l’analyse financière. « Maintenant, quand il pense à un projet, il est capable de le chiffrer, et de savoir si ça peut vraiment être intéressant », se félicite Jean-Philippe.
Ce changement chez le jeune salarié était d’ailleurs essentiel, puisqu’avec son nouveau statut d’associé, plus question pour Jean-Philippe de s’opposer trop souvent à ses projets. « Quand un salarié vous propose une idée, c’est encore vous qui décidez. Parfois, Jérémy a envie de certaines choses auxquelles je ne suis pas forcément favorable, mais je dois le laisser faire, en l’accompagnant. »
Pour Jérémy, c’est précisément sur l’aspect économique que son association avec Jean-Philippe a été la plus bénéfique. « Il sait faire tourner la boutique, et je me suis beaucoup reposé sur lui pour les aspects financiers au début. Même aujourd’hui, pour la comptabilité, c’est encore lui qui s’en occupe le plus », reconnaît le jeune homme.
Transparence et équité : les clés d’une réussite
« J’ai joué cartes sur table. Sur les aspects financiers, sur le foncier, sur les parts », précise Jean-Philippe. Afin de faciliter l’installation de son salarié à ses côtés, il a même séparé la valeur patrimoniale et la partie économique. « Si on avait fait les parts sur la valeur patrimoniale, il ne se serait jamais installé », admet Jean-Philippe.
Il n’a pas non plus hésité à présenter à son futur associé les difficultés auxquelles le Gaec serait confronté à moyen terme. « Je lui ai dit que c’était un cadeau empoisonné. Je partirai à la retraite d’ici à une dizaine d’années, et si on n’a pas trouvé de solution d’ici là, avec un nouvel associé, ou un autre fonctionnement du Gaec, Jérémy aura du mal à continuer », s’inquiète Jean-Philippe.
Les deux associés ont désormais une voix égale dans les décisions à prendre concernant le Gaec : « C’était marqué dans le contrat, 25 % des parts sociales, 50 % de la décision, et 50 % des revenus. C’est rare, et je ne crois pas que tout le monde le ferait », relève Jérémy Malaret.
D’associé à manager
« J’ai eu du mal à apprendre à déléguer, et Jérémy est pareil. C’est encore difficile pour lui de faire faire son travail à quelqu’un d’autre. » Pour aider son jeune associé à devenir un véritable manager, Jean-Philippe n’a pas hésité à recycler l’idée qui a déjà fait ses preuves : recruter un nouvel apprenti.
L’expérience de l’apprentissage a été si bénéfique pour moi, que nous allons la renouveler pour Jérémy, et elle nous permettra d’avancer sur d’autres projets.
Jean-Philippe Granger
Pas question cependant pour Jean-Philippe de croire en une recette miracle. « Il ne faut pas prendre un apprenti ou un salarié en ayant déjà à l’esprit de lui proposer de s’associer. Les choses se font petit à petit, en fonction des affinités, et des compétences », estime-t-il.
Avec l’installation de Jérémy, l’année 2018 a été chargée au Gaec des Cyprès. « Mais comme je l’ai dit à Jérémy, il a fait le plus facile », lance Jean-Philippe. Pour lui, il s’agirait déjà de préparer sa propre sortie de l’exploitation. « Est-ce que Jérémy va prendre un autre associé ? Est-ce que mon fils s’associera avec lui ? Il faut commencer à préparer ma retraite. » Un processus qui sera certainement facilité par la complicité professionnelle qu’affichent les deux hommes.