Durant l’été 2019, l’ambiance de travail était maussade du fait de tas de contrariétés à la ferme de la Noë, à Tanques (Orne). C’est alors qu’Emie, alternante, évoque avec le coexploitant Thomas Graindorge l’idée de participer au concours régional prim’holstein, à la fin d’octobre à Alençon. Les concours de race ne sont pas dans la culture de l’entreprise, mais Thomas Graindorge donne son accord de principe.

Ce projet collectif a été pour Thomas une solution pour trouver la cohésion de l’équipe en élevage qui lui manquait. Les deux chefs d’exploitation, Blandine et Thomas Graindorge, ont accompagné cette aventure sans être partie prenante de son exécution. Ils ont actionné quatre outils ou postures de management pour en tirer profit : un suivi hebdomadaire, une autonomie de l’équipe, une transparence sur leur propre ignorance et des possibilités de rebond.

Nouveau projet, nouvelle ambiance

Le jeudi de chaque semaine, l’équipe des salariées et les exploitants tiennent une réunion d’organisation du travail. Il y a Blandine et Thomas Graindorge, les deux exploitants, et l’équipe de salariées qui est totalement consacrée à l’élevage. La ferme de la Noë compte 150 vaches laitières, 146 hectares affectés quasi totalement à l’alimentation du troupeau, et cultivée par une entreprise de travaux agricoles, et un atelier de transformation d’une partie du lait.

Autour de la table, il y a donc Sonia, responsable du troupeau depuis 2009, Emie, alternante en CS lait au centre de formation de Canappeville (Eure), et Manon, arrivée au début de juillet en CDI à temps plein pour s’occuper des veaux et aider au troupeau. Sans être dramatiquement conflictuelles, plusieurs discussions difficiles avaient eu lieu cet été.

Avec le concours, à partir de septembre, le ton change durant ces réunions. Toute l’équipe partage l’objectif de participer au concours sans espérer obligatoirement gagner un prix. « On constatait que ça allait mieux entre elles dès qu’on parlait du concours, témoigne Blandine Graindorge. Les regards, les gestes, les plaisanteries… on ne voyait pas ça avant. »

Accorder de l’autonomie

Thomas et Blandine Graindorge se tiennent à distance du projet. Depuis plusieurs années, Sonia avait demandé si elle pouvait présenter des bêtes aux comices locaux. Thomas ne s’y était pas opposé sur le principe, mais l’urgence du quotidien avait repoussé année après année la concrétisation de cette idée.

Quand la demande a de nouveau émergé, les exploitants ont gardé le même accord de principe  : rester disponible mais sans intervenir. « On les a laissés faire. C’est un petit entraînement à la cohésion de l’équipe », reconnaît Blandine Graindorge. Les trois salariées ont pour la plupart une expérience des concours. Elles ont les compétences techniques et administratives nécessaires. Thomas Graindorge confirme  : « Lorsque je les vois discuter ensemble autour d’une bête, je n’interviens pas. »

Ce sont les salariées elles-mêmes qui ont proposé de participer au concours interrégional prim’holstein d’Alençon  : (de gauche à droite) Emie, Manon et Sonia, qui présentent les deux vaches Mauve et Jhaïti. © E. Young

Reconnaître son ignorance

Thomas et Blandine ont reconnu d’emblée leur ignorance du monde des concours spéciaux. Il y a bien des plaques sur le mur de la ferme, mais elles datent des années 1980. Le père de Thomas Graindorge, qui exploitait à huit kilomètres d’ici, n’y participait jamais. Thomas ne se voit pas faire semblant de savoir. Alors il admet qu’il ne sera pas d’un grand secours au milieu des salariées déjà expérimentées.

Il avoue même que l’idée ne lui serait pas venue spontanément, mais a immédiatement perçu une opportunité de créer des liens. « Déjà, elles partagent manifestement la même ardeur à participer à ce concours. Ça fait plaisir à voir », s’enthousiasme-t-il. De plus, Sonia, qui participe depuis dix ans aux plans d’accouplement du troupeau, peut y trouver une forme de reconnaissance de long terme de ce travail. Enfin, l’initiative a favorisé l’intégration de Manon, arrivée plus récemment et moins expérimentée.

Formaliser les réussites

Après le concours, Blandine Graindorge met le compte-rendu de ce projet à l’ordre du jour des réunions hebdomadaires. Les vaches n’ont pas obtenu de distinction à ce concours assez relevé. Ce n’était ni l’objectif des exploitants, ni celui affiché par les salariées. « Ce n’est pas grave si on ne gagne pas ; nous avons été heureuses de travailler ensemble », lance Manon la veille du concours. Durant quelque temps, les réunions du jeudi serviront à dresser un bilan collectif de cette initiative.

À partir de janvier, les leçons tirées de ce bilan seront partagées durant les entretiens individuels annuels et inscrits dans les lettres de mission de chacune. « Cet engagement et cette passion mis dans cette expérience contribueront à renforcer la cohésion de l’équipe dans son travail quotidien », prévoit Thomas Graindorge. Du coup, en gardant un œil plus distant sur une équipe plus cohérente, il pourra consacrer plus de temps à l’atelier de transformation.

Éric Young