Dans la foulée du congrès de la FNSEA, Le Conseil national de l’agriculture (Caf) a réuni ce jeudi 30 mars 2017, sept candidats à la présidentielle, sur les onze en course, afin qu’ils exposent leurs projets agricoles. Un grand oral attendu par la profession, à trois semaines du premier tour.
Les représentants du Caf (Christiane Lambert de la FNSEA, Michel Prugue de Coop de France, Jeremy Decerle de Jeunes Agriculteurs et Claude Cochonneau de l’APCA) ont rappelé en introduction le contexte de crise que traverse le secteur et leurs attentes vis-à-vis du projet européen. S’en est suivi un défilé millimétré : dix minutes d’exposé chacun, suivies de dix minutes d’échange avec la salle. Avec, par ordre d’apparition à la tribune : François Asselineau, Emmanuel Macron, Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle, Marine Le Pen, Jacques Cheminade et François Fillon.
Le plus éloquent : François Asselineau (Union populaire républicaine)
François Asselineau crée décidément la surprise dans cette campagne. Il a fallu du courage à ce champion du « Frexit » pour venir présenter son projet devant une assemblée de proeuropéens convaincus. Précis sans être rébarbatif, il s’est au moins attiré le respect de l’assemblée par un discours franc et tranquille.
« Il n’y a pas de sujet plus grave que celui que j’évoque devant vous, a-t-il déclaré. Les élections en France sont devenues des théâtres d’ombres. Je vous propose, moi, en adulte responsable, de mettre tout ça sur la table et de sortir de l’Union européenne de façon sereine et juridique. Sauf erreur, ça ne veut pas dire devenir la Corée du Nord ! »
Quant à la Pac : « D’où vient l’argent reçu ? Des Français. Nous versons chaque année 23 milliards d’euros à l’Union européenne (UE), qui nous en rend 14, dont 9,1 avec la Pac. En sortant de l’UE, je prends l’engagement solennel non seulement de garantir les aides aux agriculteurs, mais aussi de rétablir la viabilité de l’agriculture familiale. »
Et de s’attirer les applaudissements de la salle par une double pique envoyée aux médias et à Bruxelles : « S’il est trop difficile de faire débattre onze personnes sur un plateau télé, comment débattre entre 28 pays dans une Commission européenne ? »
Le plus consensuel : Emmanuel Macron (En Marche)
Emmanuel Macron faisait partie des « stars » attendues. Le candidat d’En Marche est arrivé tout sourire, débutant et concluant son discours par des références à Xavier Beulin, puis listant les mesures déjà présentées lors de son meeting de Quimper, en janvier dernier. Outre l’exposé d’un programme plutôt consensuel, quelques phrases bien senties lui ont fait gagner la sympathie de l’assemblée. « J’ai un grand problème sur le plan politique, c’est que j’ai beaucoup de gens qui me soutiennent, a-t-il par exemple lâché. On se console, car c’est moins grave que d’avoir beaucoup de gens qui vous quittent… »
Plus tard, à l’adresse de Christiane Lambert, seule candidate à la présidence de son syndicat : « Vos élections s’annoncent plus simples que les nôtres ! » Ou encore, faisant suite à une question sur l’avenir du ministère de l’Agriculture : « Il y en aura bien un, il sera fort et, lui, sera à plein temps », a-t-il ironisé, en référence à l’actuel ministre et porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll.
L’ancien hôte de Bercy a toutefois été interpellé sur l’impression qu’il donnait de « surfer sur la vague médiatique » en soutenant l’interdiction des poules élevées en cage. « Je parlais de la GMS, qui est une part minoritaire de la vente des œufs, pas de l’industrie agroalimentaire », s’est-il défendu. Réponse de Christiane Lambert : « Vous avez évolué, merci. »
Le plus virulent : Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France)
« Les congrès succèdent au congrès, les salons aux salons, et toujours la démission, les lâchetés et les mensonges des gouvernements. Le choix est simple : soit vous continuez à mendier des aides auprès de vos maîtres à Bruxelles, soit vous reprenez votre destin en main », a lancé Nicolas Dupont-Aignan, devant une foule attentive à son discours.
Le candidat souverainiste prône « un patriotisme de bon sens » et prévient : « Soit on retrouve l’esprit de la Pac, soit on part. Je veux laisser une dernière chance au système de se réformer, mais nos partenaires sauront qu’en l’absence d’accord, la France claquera la porte. » Voilà, selon lui « la seule menace qui peut faire avancer les choses ».
Au cœur de la réforme souhaitée : une préférence communautaire, des prix garantis, le retour des quotas… Nicolas Dupont-Aignan souhaite par ailleurs « que notre agriculture s’adapte aux goûts des consommateurs ». Il entend « privilégier les circuits courts » et faire en sorte « que les cantines publiques s’approvisionnent à 75 % sur notre sol ».
Le plus attachant : Jean Lassalle (ex-Modem)
On ne présente plus le député Jean Lassalle au monde paysan. « Je serai à vos côtés car je suis des vôtres », a-t-il lancé à l’assemblée, dans de grands mouvements de bras. Passionné, lunaire, théâtral, brouillon… L’auteur de « Un berger à l’Élysée » a eu du mal à apporter des précisions sur le contenu de son programme agricole. Tant pis, il sait compenser par un enthousiasme communicatif. « Mon père disait toujours : il ne faut pas perdre ses racines. » À son tour de vouloir transmettre cela à la société. « Il faut avoir éprouvé le frisson de la première culture, avoir vu pointer le nez du veau, pour savoir ce que ça fait ! »
À la question de savoir s’il ne pousserait pas la chansonnette en tribune, comme il l’avait fait un jour dans l’hémicycle, la réponse a fusé : « Le futur président doit être prêt à toutes les éventualités s’il veut côtoyer Monsieur Trump. » Éclats de rires. Mais pas de chanson. Plus à l’aise dans ce jeu de questions et de réponses, le Béarnais s’est enflammé sur le sujet du loup : « J’ai tout essayé et ma conviction est faite. Il est absolument impossible de faire cohabiter l’homme et les loups, ours et lynx dans le cadre du pastoralisme. » Et pour faire redoubler les applaudissements après cette diatribe : « Ceux qui ne veulent pas voter pour moi, surtout, ne votez pas ! »
La plus décevante : Marine Le Pen (Front National)
En 2012, Marine Le Pen avait marqué le Caf par ses prises de positions provocatrices, en particulier vis-à-vis de Xavier Beulin. C’est une présidente du Front National bien plus effacée qui s’est présentée au monde agricole cette année, s’en tenant à la lecture d’un discours trop long pour tenir dans les dix minutes imparties.
Il a fallu attendre les échanges avec la salle pour la retrouver un peu, lorsqu’une question a soulevé le rôle de la Pac et de l’Europe dans la paix des peuples. « La Pac, c’est la paix ? Je ne peux pas entendre ça ici, s’est-elle offusquée. L’Europe aujourd’hui, c’est la guerre. La guerre des prix, l’injustice profonde qui fait que les produits agricoles se retrouvent en concurrence déloyale avec des productions qui ne respectent aucunes normes. Et si on mettait toutes nos forces pour négocier une politique française, ne serait-ce pas plus raisonnable ? »
Le plus assoupissant : Jacques Cheminade (Solidarité et Progrès)
Pas simple pour Jacques Cheminade, sixième candidat à passer en tribune, de réveiller une salle commençant à s’endormir. Pas même en brandissant le spectre d’une « grande crise financière à l’horizon ». Il a pourtant plaidé pour une sortie de l’euro « afin de créer un choc pour que l’Europe se ressaisisse ».
Et que la salle se réveille ? « Je veux interdire aux mégabanques les placements spéculatifs sur les produits agricoles et multiplier les circuits courts afin de couper les ailes aux vautours financiers », a-t-il encore avancé. Puis le spécialiste des nouvelles technologies a insisté sur les innovations possibles en matière de robotique et de numérique. « Ras-le-bol de Martine à la ferme ! »
Le plus applaudi : François Fillon (Les Républicains)
Baisse des charges, TVA sociale, suppression du compte pénibilité… Reprendre dans les grandes lignes les positions du syndicat majoritaire permet de se garantir des applaudissements à chaque mesure énoncée devant lui. Il est revenu à François Fillon de conclure ce grand oral, devant une assemblée en phase avec son programme.
« Ne croyez pas les candidats qui vous disent qu’ils vont vous verser un salaire parce que vous êtes les jardiniers de la France. Ou qui promettent un revenu universel. Mon projet est celui d’une agriculture qui produit et qui tire ses revenus de sa production. » L’urgence, selon lui : « Redonner la liberté d’entreprendre et d’innover aux agriculteurs. »
Parmi ses engagements pris à ce jour : rendre éligibles les entreprises agricoles au crédit d’impôt, recherche et ramener « toutes règles surtransposées au niveau des exigences européennes, dès le début du quinquennat ». En d’autres termes plus familiers, empruntés à Pompidou : « Il faut arrêter d’emmerder les agriculteurs ! »
À la question de savoir quelle personnalité il placerait au ministère de l’Agriculture, l’ancien premier ministre répond : « Quelqu’un qui a une véritable capacité de négociation, ce qui nous a manqué pendant cinq ans. » Nathalie Kosciusko-Morizet sera-t-elle au gouvernement ? « En tout cas pas à l’Agriculture », a-t-il répondu dans un sourire entendu.
François Fillon n’a par ailleurs pas manqué l’occasion de saluer l’accession prochaine de Christiane Lambert à la tête de la FNSEA, s’offrant une dernière salve d’applaudissements : « C’est une femme solide et courageuse. Normal, c’est une femme de l’Ouest ! »