On la surnomme le « I Pierre ». C’est une méthode pour positionner des bandes enherbées au milieu des grandes parcelles, sans perturber les pratiques agricoles. Pierre Lichon, agriculteur à Lissay-Lochy, au sud de Bourges (Cher), en est l’inventeur. Chasseur occasionnel, il est impliqué dans l’association « Chasses et terroirs de petit gibier 18 ».
Quand, en 2008, la Fédération des chasseurs du Cher lui propose un contrat Agrifaune, en partenariat avec l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, pour aménager le territoire, il n’hésite pas mais fixe une condition : les bandes enherbées ne doivent pas perturber les travaux agricoles.
Un système bien étudié
L’objectif est de réintroduire et de préserver la perdrix grise. Mais ce n’est pas gagné d’avance. Pierre et sa sœur, Isabelle Gregot, exploitent 550 ha, avec des grandes parcelles de 70-80 ha, tout autour du village. Mise à part deux haies de 1 km chacune, l’exploitation ne possède pas d’aménagement particulier pour favoriser la biodiversité.
Avant de se lancer, Pierre réfléchit, avec son personnel, à la forme des bandes enherbées. Il opte pour un « I », avec deux barres de chaque côté (voir le schéma ci-dessous), pour pouvoir tourner facilement avec les engins, sans abîmer les cultures et multiplier les effets de « lisière » (lire encadré p. 37). Il coupe trois parcelles plus ou moins dans leur milieu. « Il était important que je continue à avoir accès à mes parcelles facilement, toute l’année. J’ai d’abord positionné la première bande sous un pylône électrique. Puis, les deux autres en les décalant pour ne pas qu’elles forment un seul couloir », explique Pierre Lichon.
Une vingtaine de couples de perdrix
La bande enherbée est semée avec de la fétuque traçante. À côté, l’agriculteur implante une bande de sorgho, qui sert d’abri pour la petite faune. Puis, de chaque côté du « I », il sème des cultures intercalaires, du tournesol pour le refuge des perdrix et du blé améliorant (Courtot) pour la nidification.
Au total, la bande mesure 156 m de large, un multiple de six pour le passage des engins. Les surfaces de cultures ont également été réfléchies en fonction des capacités de stockage de Pierre (environ 80 t/cellule). La rotation est : blé, colza, blé, tournesol pour la culture principale et blé de printemps et tournesol pour les cultures intercalaires. Des Cipans sont implantées avant le tournesol (phacélie et avoine).
Ce dispositif a-t-il été bénéfique à la perdrix ? Trois ans après la réintroduction d’une soixantaine d’oiseaux, le nombre de couples de perdrix aux 100 ha a bondi de 1 à 18 dans la zone aménagée. Les autres populations de petit gibier ont aussi augmenté… Ainsi que les prédateurs, les corbeaux et les pigeons.
Du point de vue économique, Pierre a touché une subvention « Agrifaune », pour compenser son aménagement pendant les six ans du contrat. « Aujourd’hui, les bandes sont toujours en place. L’aménagement concerne 36 ha, soit 6 % de mon exploitation. »
Ce qui pose davantage de souci à Pierre, c’est sa rotation. Après six ans d’alternance de blé/tournesol, les rendements en tournesol sont « catastrophiques » (environ 17-18 q/ha) et des résistances aux herbicides commencent à se développer, en particulier l’ambroisie. L’agriculteur cherche une culture de remplacement. Cette année, il a implanté du colza jusqu’à la bande enherbée. Autre désagrément, les riverains qui prennent les bandes enherbées pour des chemins et passent en quad… Enfin, cette méthode demande de la rigueur dans la déclaration Pac, au moins pour la première année. Un îlot est composé de neuf sous-parcelles…
Mais malgré ces quelques freins, Pierre Lichon est globalement satisfait du dispositif et souhaite le garder. « C’est un réel plaisir de travailler ou bien de se promener dans ces plaines : il y a toujours du gibier à regarder et le temps de travail paraît bien moins long », conclut l’agriculteur.