Accusés d’avoir illégalement augmenté les aides européennes d’agriculteurs corses, deux hauts fonctionnaires seront jugés à Paris pour « détournement de fonds publics » et un troisième pour complicité, a indiqué à l’AFP l’association anticorruption Anticor ce jeudi 20 mars 2025.
Anticor avait déposé une plainte auprès de l’office européen antifraude (Olaf) dès 2016 puis une plainte avec constitution de partie civile en mai 2019 auprès du parquet national financier (PNF) pour « détournements de subventions publiques agricoles massifs », « avec la complicité des autorités de contrôle », accusées de « défaillances ».
Une plainte fondée sur le rapport de l’Olaf
Ces possibles détournements ont « pu être mis en lumière grâce au courage de lanceurs d’alerte, parmi lesquels Pierre Alessandri », un producteur d’huiles essentielles de Sarrola-Carcopino (Corse-du-Sud), assassiné lundi soir sur son exploitation, souligne Anticor.
Cette plainte se fondait sur un rapport de l’Olaf qui pointait, pour « la période 2015-2016 », « la revalorisation + politique + des aides » agricoles allouées à la Corse, qui sont passées de 13,9 millions d’euros en 2014 à 36 millions d’euros par an pour la période 2015-2020, selon ce rapport confidentiel consulté par l’AFP.
Ce document relevait « l’augmentation très rapide des surfaces bénéficiant des aides découplées en Corse depuis 2015 » du fait « d’un effet d’aubaine lié à des modifications des dispositions administratives appliquées à la Corse ». Une information judiciaire a été ouverte en décembre 2019 par le Parquet national financier après la plainte d’Anticor et un signalement notamment des inspections générales des Finances et de l’Administration.
Tout tourne autour d’une réunion au ministère de l’Agriculture le 14 janvier 2016 lors de laquelle a été décidée l'"attribution informelle et illégale d’aides de la Politique agricole commune (Pac) en Corse », selon des documents d’enquête consultés par l’AFP.
Jusqu’à 1,2 million d’aides illégales
Pour « éviter d’éventuels troubles à l’ordre public », ces hauts fonctionnaires sont accusés d’avoir invité, lors de cette réunion, les responsables des chambres d’agriculture corses à faire déclarer aux éleveurs insulaires des « surfaces non admissibles » pour bénéficier d’aides.
Un membre du cabinet du ministre de l’Agriculture de l’époque, est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris pour « détournement de fonds publics », selon l’ordonnance, consultée par l’AFP, de la juge d’instruction qui clôt cette information judiciaire. La date du procès n’est pas encore connue.
Cette personne est accusée d’avoir autorisé l’extension « à tous les ruminants » (ovins, caprins, bovins) des aides attribuées « aux surfaces de chênaies et châtaigneraies entretenues par les porcins ». Elle est également accusée d’avoir permis « l’antidatage » des déclarations de surfaces, en violation de la réglementation européenne.
« Il y avait une discussion quant à l’éligibilité de certains éleveurs au bénéfice de subventions européennes. Le cabinet du ministre a considéré que l’arrêté le permettait. Qu’une interprétation d’une règle puisse être considérée comme un détournement de fonds publics est une erreur », a indiqué Maître Emmanuel Marsigny, son avocat, soulignant « qu’il n’y a aucun enrichissement personnel des personnes poursuivies ».
Un troisième complice
Un dirigeant de l’Agence de services de paiement (ASP), l’organisme qui verse les aides publiques européennes de la Pac, sera également jugé pour « détournement de fonds publics ». Il est accusé des mêmes faits et d’avoir validé « la mise en paiement de ces aides » et la supervision « des contrôles consécutifs à cette extension ». Son avocat, Maître François Esclatine, n’a pas souhaité faire de commentaires.
Enfin, un conseiller du ministre de l’Agriculture de l’époque est renvoyé pour « complicité de détournement de fonds publics » pour avoir organisé cette réunion de janvier 2016. Contacté par l’AFP, son avocat, Maître Georges Holleaux, n’était pas immédiatement joignable. Ces trois personnes contestent notamment l’irrégularité des décisions.
Le montant d’aides illégalement versées pourrait être « compris entre 370 000 euros et 1,2 million d’euros », précise l’accusation."Il est particulièrement inquiétant que des hauts fonctionnaires aient pu céder à des menaces d’agriculteurs et se soient rendus coupables d’infractions à la probité parmi les plus graves afin d’acheter la paix sociale dans une région particulièrement touchée par la corruption », a déclaré Inès Bernard, déléguée générale d’Anticor.