En accueillant ce jeudi 22 février 2018, ces jeunes à la veille de l’ouverture du Salon de l’agriculture, le chef de l’État a cherché à déminer une situation tendue sur le terrain avec une réelle inquiétude des agriculteurs pour leur avenir. Un accueil mouvementé d’Emmanuel Macron au Sia n’est en effet pas exclu. Choisis par les préfets, les agriculteurs invités, âgés de moins de 35 ans, se sont installés l’an dernier et sont représentatifs de toutes les productions, indique l’Élysée, ajoutant qu’ils sont « la génération Y de l’agriculture ».
« Révolution culturelle »
« D’ici à 2020, 40 % des agriculteurs partiront à la retraite », a déclaré le chef de l’État, expliquant aux jeunes présents dans la salle que leur « génération aura à réussir une transformation profonde et radicale ». Emmanuel Macron parle même de « révolution culturelle ». Il s’agira, selon lui, de passer « de l’exploitant agricole à l’entrepreneur agricole ».
Pour cela, le président de la République a rappelé qu’il faut « construire des caps stratégiques par filière » pour que les agriculteurs puissent vivre d’un « juste prix » basé sur les coûts de production. Les textes découlant des EGA (États-généraux de l’alimentation) seront « présentés au printemps au Parlement avec une large part sous forme d’ordonnances », a-t-il rappelé. Les plans de filière permettront de construire « une stratégie nouvelle », a ajouté le chef de l’État, indiquant que pour le mois de mai, il « souhaite que l’on définisse notre stratégie en détail avec les instruments et les engagements financiers que nous défendrons dans la Pac ».
En travaillant dès le début de quinquennat à cette stratégie, le président veut éviter le « manque de clarté et de stabilité » que l’on a connu par le passé dans la gestion de la politique agricole commune. Et pour que la stratégie du « juste prix » réussisse, il estime que la gestion des risques devra être « au cœur de la prochaine Pac avec une réserve de crise pluriannuelle à 27 et des outils de régulation ». Au sujet de la gestion des risques, le chef de l’État a également annoncé « la refonte des déductions fiscales pour aléas et investissement (DPA et DPI) et la réforme permettant l’épargne de précaution », ces évolutions devant figurer dans la loi de finances pour 2019, présentée à l’automne.

« Imaginer un système de préretraite agricole »
En matière de reprise de foncier par des jeunes, le président de la République souhaite que pour le mois de mai, l’on puisse « imaginer un système de préretraite agricole avec une reprise progressive de l’activité pour permettre à un jeune de s’installer ». Il se dit également à l’écoute des propositions concernant des « prêts d’honneur » pour les jeunes agriculteurs.
Concernant le foncier, il a également annoncé le recentrage du contrôle des structures sur « les opérations qui le justifient » et une redéfinition du « rôle et de la gouvernance des Safer ». Il a aussi déclaré que des « verrous réglementaires » seront mis en place pour les achats de terres agricoles par des étrangers.
Des précisions sur le plan d’investissement de 5 milliards d’euros
Le chef de l’État a par ailleurs donné quelques précisions sur le plan d’investissement de 5 milliards d’euros, sur lequel le travail se poursuit. Une enveloppe de 1 milliard d’euros de prêts garantis sera mise en place avec la Banque européenne d’investissement. « Les garanties personnelles demandées aux entreprises personnelles, aujourd’hui de 130 %, passeront à 20 % », a expliqué Emmanuel Macron. « Nous allons mettre en place une forme de garantie publique pour les jeunes dans le cadre de ce grand plan de financement des investissements ».

Ce plan permettra aussi « d’accompagner les projets d’investissement pour réduire l’utilisation de pesticides, les projets de diversification ou les investissements dans des bâtiments d’élevage qui anticipent les demandes des consommateurs ». Il accompagnera également les objectifs fixés en matière d’agriculture biologique et qui visent à atteindre 15 % des surfaces en bio en 2022. Dans ce secteur, la France enregistre un déficit commercial d’un milliard d’euros que le chef de l’État souhaite « compenser ». Emmanuel Macron a indiqué que des annonces « concrètes et précises » seraient faites sur ce plan de développement de la filière bio à l’occasion du salon de l’agriculture.
Enfin, un fonds de 100 millions d’euros destinés à des prêts à la méthanisation sera mis en place avec BPI France, tandis que sera annoncée la semaine prochaine « une réforme des règles de développement des méthaniseurs ».
Paiement des aides, ICHN et Mercosur
Au début du discours, le chef de l’État est revenu sur les dossiers sensibles du moment. Concernant le paiement des MAEC et des aides bio, il a indiqué que les 3 000 à 4 000 dossiers de 2015 non encore payés le seront pour la fin de mars. Pour les 50 000 dossiers de 2016, le paiement sera opéré au printemps. Et le président s’est engagé « fermement » pour que dans l’avenir, tous les paiements soient faits « en temps ».
Au sujet des ICHN, Emmanuel Macron n’a pas apporté plus de précisions que le ministre de l’Agriculture mardi dernier rappelant que si 1 380 communes sortent du dispositif, 4 900 vont y rentrer. Évoquant les deux années de transition pour ceux qui perdront le bénéfice des ICHN, il a simplement indiqué qu’il faudra dans les mois à venir construire « des mécanismes de substitution » pour aider ceux qui sont impactés.
Enfin, sur le dossier du Mercosur, Emmanuel Macron a expliqué que pour l’instant, les lignes rouges fixées par la France ont été respectées. Il assure qu’« il n’y aura aucune baisse de nos standards de qualité, environnementaux et sanitaires dans cette négociation ». Et ensuite, quels que soient les quotas négociés, « il y aura une clause de sauvegarde » qui, en cas de déstabilisation du marché, permettra de suspendre l’application de l’accord. « Cet accord est bon pour de nombreuses filières agricoles, il est bon pour l’économie française. Nous devons le défendre et l’améliorer », a déclaré le chef de l’État.
Et pas question, selon lui, de voir dans l’accord avec le Mercosur, le problème de la filière bovine française. Celui-ci est dû, estime-t-il, au fait qu’en France, on n’a « pas su se structurer ». « C’est le manque de confiance entre les éleveurs qui a abouti à laisser un acteur dominant sur le marché et qui tient tout le système », a déclaré le président. « Votre génération a pour mission de rebâtir la filière bovine avec des investissements dans des maillons de découpe et d’abattage pour reconquérir le marché intérieur », a ajouté Emmanuel Macron, qui est revenu à plusieurs reprises dans son discours sur la domination de Bigard (sans le nommer) dans la filière bovine.
« Après le discours, on attend les actes »
Le discours du chef de l’État aura-t-il rassuré les jeunes présents à l’Élysée ? « Emmanuel Macron a la volonté de faire avancer les choses. Il y a eu un travail intelligent dans le cadre des États-généraux de l’alimentation pour voir comment organiser les filières et cela, avant que la loi ne soit écrite. Mais après le discours, on attend les actes », déclare Romain Moreau, jeune agriculteur en Vendée.
De son côté, Thomas Desillière, installé dans la Mayenne, estime que si le chef de l’État, « fait ce qu’il dit, cela peut être intéressant, notamment avec le plan d’investissement de 5 milliards. Mais on vient d’investir pour nous installer, on ne va donc pas réinvestir dans de nouvelles filières. Après ce discours, on veut maintenant des actes. En agriculture, une parole ça doit être respecté. »
Et son collègue mayennais, Auguste Foucault, d’ajouter : « Ce qui manque, ce sont les prix. » Des prix justes, pari du chef de l’État, et qu’il devra réussir s’il veut garder la confiance.