En mai 2022, le prix standard du lait conventionnel frôle les 420 €/1 000 litres et progresse de 26,5 % sur un an, chiffre FranceAgriMer. Un niveau record « essentiellement tiré par l’appréciation de la valorisation beurre poudre », explique Corentin Puvilland, de l’Institut de l’élevage (Idele). L’ascension du prix du lait devrait au moins se poursuivre jusqu’à l’automne.

Des situations hétérogènes

Cette dynamique permet à l’indicateur de marge laitière indexé sur l’Ipampa (Milc) d’atteindre son plus haut niveau depuis 2017 : 119 €/1 000 litres en mai. En moyenne nationale, la hausse du prix du lait et du produit viande couvre celle des charges. Mais la situation est très hétérogène sur le terrain, et l’incertitude économique affole. La crise des matières premières fragilise certains producteurs, et nombreux sont ceux qui pensent que la hausse du prix du lait pourrait et devrait être supérieure aux niveaux observés. Un imbroglio qui n’aide pas la collecte à repartir.

 

Et pour cause, la dynamique française ne suit pas le rythme effréné de certains voisins européens. « Le prix standard conventionnel allemand dépasse le prix français de presque 70 €/1 000 litres en mai, c’est du jamais vu », confirme Corentin Puvilland. Mais le prix français est moins dépendant du marché mondial, et donc moins réactif à ses fluctuations.

 

 

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Convaincre les distributeurs

« Sauf exception conjoncturelle, comme en ce moment, la valorisation du lait transformé en produits de grande consommation est historiquement plus élevée, stable et robuste que celle du lait transformé en produits industriels. Aujourd’hui, dans la mesure où la grande distribution française nous empêche de revaloriser suffisamment nos produits, notre modèle est en difficulté », déplore Pascal Lebrun, président de La Coopération laitière.

 

Sur le marché intérieur, l’inflation sur les produits laitiers se fait attendre. D’après l’expert de l’Idele, les laiteries ont signé des hausses de 3 ou 4 % sur le premier cycle des négociations commerciales annuelles. Le second cycle porte ses fruits, mais ne permettra probablement pas d’atteindre les croissances à deux chiffres espérées. La crise du pouvoir d’achat paralyse les discussions. Les hausses passées et attendues « doivent permettre de sanctuariser la matière première agricole » mais ne suffiront pas à « redresser les marges des industriels, en particulier les PME », souligne François-Xavier Huard, président-directeur général de la Fédération nationale des industries laitières (Fnil). Et une marge diminuée, « c’est moins de latitude et de visibilité sur le prix du lait. »

 

Lasse d’attendre une énième renégociation, la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) mise sur des actions de communication estivales pour faire bouger les lignes. « Au 1er septembre 2022, nous ne nous interdirons pas une grande action nationale si le prix de la brique de lait française ne rejoint pas les prix belges ou allemands autour d’un euro du litre », prévient Daniel Perrin, secrétaire général du syndicat.

Remise en cause des contrats

La contractualisation de l’amont, entre éleveurs et transformateurs, traverse également une zone de turbulences. La FNPL évoque un indicateur coût de production interprofessionnel peu réactif, et certains industriels suspendent ou remanient les formules de prix, avec ou sans consensus avec les producteurs. « Ce qui pouvait fonctionner dans un environnement économique relativement stable est mis en difficulté aujourd’hui », justifie Pascal Brun. « Les formules peuvent également être revues au profit des producteurs, quand les prix s’écroulent. Mais cela fait moins de bruit dans ce sens », ajoute François-Xavier Huard.

 

Sodiaal a annoncé un prix standard de 420 €/1 000 litres pour le troisième trimestre de 2022. « Quelques euros » en deçà du résultat donné par la formule, suspendue par le conseil d’administration. « L’hyperinflation fait sortir la formule des rails. Nous avions déjà modifié l’indicateur beurre poudre interprofessionnel, pour coller à nos coûts de fabrication. Mais cela ne suffit pas. L’indicateur prix du lait allemand ressort des niveaux de valorisation extrêmement élevés, déconnectés de nos marchés », relève Frédéric Chausson, directeur des relations extérieures et du développement durable chez Sodiaal. La FDSEA et les JA du Cantal ont alors dénoncé une stratégie visant à « tirer le prix du lait payé aux producteurs vers le bas. »

 

Chez Lactalis aussi, la sortie de la formule fait grand bruit. Le géant laitier a décidé de maintenir son prix conventionnel entre mai, juin et juillet 2022 (444 €/1 000 litres en TB 41/TP 33), au lieu de suivre la formule. « Le groupe Lactalis ne doit pas rester attentiste » et doit « honorer ses engagements sur le bon retour aux producteurs des hausses obtenues », dénoncent les organisations de producteurs (OP) Unell et OPLGO. De son côté, l’industriel reconnaît ne pas être parvenu à s’accorder avec les OP et prévoit une reprise des discussions en août.

Encadrer les négociations

« Les lois Egalim devaient permettre d’avoir des négociations plus encadrées, mais force est de constater que les industriels utilisent d’autres leviers pour atteindre leur prix objectif », regrette Loïc Adam, président de la fédération France OP Lait. Peut-être y a-t-il trop d’OP, que la médiation patine ou que la menace d’une rupture de relation bloque les démarches.

 

Quoi qu’il en soit, le combat judiciaire entre Savencia et l’association d’OP Sunlait, faisant suite au rétropédalage de la laiterie sur la formule de prix du début de 2020, « est un premier cas du genre, mais il y en aura d’autres. » Le délibéré de cette affaire est attendu à la fin d’août.