Souvent spectaculaires dans la rue, les manifestations agricoles se traduisent-elles dans l’espace numérique ?

Les deux espaces, réel et numérique, ne sont pas étanches. L’activité en ligne est très liée à l’activité hors ligne. En agriculture, on constate des pics d’intérêt sur Twitter pendant le Salon de l’agriculture, les manifestations ou encore au moment de la diffusion d’une émission de télé sur les pesticides, par exemple. En revanche, les acteurs du débat peuvent être différents. Les codes de la conversation, aussi.

Pendant les manifestations de l’hiver 2023-2024, nous conduisions avec plusieurs collègues une enquête de terrain dans un lycée agricole. Nous en avons profité pour observer comment les jeunes réagissaient. TikTok est devenu la porte d’accès aux informations agricoles pendant ces évènements, d’autant plus que les Jeunes Agriculteurs locaux avaient bien investi cette plateforme. Ces posts ont progressivement incité les lycéens à rejoindre une manifestation sur une autoroute. On a aussi vu des youtubeurs, qui produisaient habituellement des contenus techniques, prendre des positions plus politiques à cette occasion.

L’agriculture a-t-elle pris sa place dans les débats numériques ?

Je me dois de préciser que le monde agricole est depuis longtemps actif en ligne : sur les forums dans les années 1990, ou sur les blogs des années 2000. Il n’était pas en retard mais, depuis, on a constaté un changement de registre global de l’agriculture dans l’espace public. D’un sujet technique, c’est devenu un sujet de débats plus politiques, avec les controverses sur les pesticides, l’eau ou le changement climatique. Ça a créé, chez les acteurs agricoles traditionnels, le sentiment de perdre la bataille idéologique.

La réponse s’est opérée sur deux plans. D’un côté, les acteurs institutionnels qui opéraient une communication globale. De l’autre côté, sur le terrain, les professionnels de l’agriculture se sont rejoints dans le sentiment d’une critique injuste. C’est la naissance du hashtag #FranceAgriTwittos sur Twitter (devenu X) en 2017. Il a fait exister un contre-discours sur l’agriculture, qui, en retour, a eu un effet sur la représentation de l’agriculture dans une partie de l’opinion publique.

L’espace numérique fait-il naître un vivier de sympathisants ?

Ça dépend des réseaux sociaux étudiés. Twitter se restreint plutôt aux exploitants et à celles et ceux qui les accompagnent. En revanche, Youtube héberge beaucoup de vidéos sur le travail des salariés d’exploitation ou d’entreprise de travaux agricoles, leur accordant une visibilité plus forte qu’en temps ordinaires.

Par ailleurs, l’espace numérique agricole, construit en réponse aux critiques environnementales, a permis de tisser des liens avec d’autres communautés qui peuvent s’y reconnaître, comme les chasseurs et défenseurs de la ruralité, les mouvements rationalistes ou encore pro-business. L’espace numérique du débat entremêle différents registres d’engagement.

(1) Centre national de la recherche scientifique.