Ces freins « sociotechniques » (2) pour la culture des légumineuses en France peuvent notamment expliquer les faibles surfaces cultivées. « Les légumineuses constituent une famille riche et diverse, avec de très nombreux bénéfices agronomiques et environnementaux, mais peu valorisés à cause de ce verrouillage sociotechnique autour des grandes espèces dominantes », estime Marie-Hélène Jeuffroy.
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Des avantages rarement pris en compte
En amont, la chercheuse de l’Inrae cite ainsi le faible rendement par rapport aux cultures majeures ainsi qu’une variabilité « inexpliquée des services écosystémiques fournis ». L’intérêt économique des légumineuses sur les cultures suivantes est aussi, selon elle, rarement pris en compte.
Jusqu’à maintenant, le nombre de variétés disponibles était faible avec une augmentation limitée du rendement annuel. Il manque aussi des références technico-économiques sur la conduite de la culture et sur les intérêts pluriannuels. « Il faut fournir aux agriculteurs des indicateurs permettant de quantifier le bénéfice des légumineuses », commente-t-elle.
Autre frein : pour les coopératives et les négoces, la logistique est plus complexe et plus coûteuse sur ces espèces à petits volumes. Marie-Hélène Jeuffroy cite également les actions des pouvoirs publics « successives défavorables ou insuffisamment pérennes ».
Agir sur l’ensemble des acteurs
« Jusqu’alors, les plans protéines ont été beaucoup focalisés sur ce qu’il se passe chez les agriculteurs, poursuit-elle. Or ce qui se passe chez les autres acteurs va avoir un effet direct au niveau des producteurs. Il faut donc transformer l’ensemble des filières et des acteurs, et c’est extrêmement difficile. »
« Cela va peut-être se faire mais très lentement et seulement s’il n’y a pas d’effets qui vont pouvoir contrebalancer ça. Ces effets peuvent être mondiaux : par exemple les équilibres de prix sur les cultures aujourd’hui vont être très impactant sur l’intérêt des agriculteurs à cultiver ces légumineuses. »
En ce qui concerne l’aval, les études présentées par Marie-Hélène Jeuffroy pointent au niveau des industriels et des transformateurs de « forts coûts de transaction sur ces espèces mineures », des difficultés d’extraction et un faible usage à ce jour en alimentation humaine. Les circuits de distribution sont aussi à repenser.
Freins organoleptiques
Au niveau du consommateur, ce sont plutôt des freins organoleptiques qui pénaliseraient l’utilisation de légumineuses. Ces dernières nécessitent aussi des habitudes de consommation différentes. Par ailleurs l’intérêt environnemental de ces espèces ne semble « pas identifié ou peu, ou mal expliqué » aux consommateurs.
Les études citées mettent aussi en avant « l’insuffisance de la coordination entre les acteurs pour consolider une filière fragile ». Selon Marie-Hélène Jeuffroy, « des processus d’innovation sont à stimuler, dans les champs, en coordination avec les innovations dans les usages ».
Soutenir la sélection variétale
La sélection variétale a ainsi un rôle très important à jouer pour une meilleure adaptation au contexte pédoclimatique et aux débouchés. « Les légumineuses ont l’inconvénient d’avoir des semences chères, ce qui a poussé pendant longtemps les agriculteurs à utiliser les semences de ferme. Dans le cadre du plan protéines, ce serait un moteur fort de soutenir la sélection et l’utilisation de semences certifiées pour stimuler le développement des légumineuses. »
Paiements pour services environnementaux
Autre élément sur lequel il est possible de jouer : la monétisation des services écosystémiques des légumineuses. « Valoriser économiquement ces services est quelque chose de possible mais le problème est qui va payer ? », se demande Marie-Hélène Jeuffroy.
« Aujourd’hui, pas grand monde n’est motivé pour payer ces services environnementaux. C’est très difficile de le mettre en place. Mais c’est quelque chose vers lequel il faut vraiment essayer d’aller car il faut reconnaître les efforts des agriculteurs. »
(1) Le GPN (Groupe protéines et nutrition) a été créé en décembre 2019 à l’initiative de la FNCG (fédération des corps gras) et a pour vocation de rassembler toutes les expertises autour des protéines végétales et de favoriser les échanges entre chercheurs de différentes spécialités (environnement, nutrition, santé, économie…).
(2) Les données sont issues d’études conduites en 2016 (Magrini et al.) et 2018 (Meynard et al.).