« [La] rhétorique [de Donald Trump] nous met dans une position d’inconfort et d’attente, mais il ne faut pas négliger ce marché », insiste Stéphanie Léo, cheffe du service Études sur mesures de Business France. Elle s’adressait aux acteurs des exportations maritimes agricoles et agroalimentaires françaises, lors de la deuxième rencontre Agrofret, le 30 janvier 2025 à Paris.
« Les places perdues sont difficiles à retrouver, ajoute-t-elle. C’est un marché qui a une très bonne croissance, sur lequel nos produits français sont bien implantés et sur lequel on a une marge de progression. Il ne faut pas le laisser de côté. »
Premier exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires, les États-Unis sont aussi le deuxième importateur mondial après la Chine. Incontournables pour la balance commerciale française, ils représentaient 6,6 % de part de marché dans les exportations agricoles et agroalimentaires de la France en 2023, selon le livre blanc de l’export 2025 (1). Les vins et spiritueux pèsent le plus dans ces exportations (3,7 milliards d’euros), suivis par les produits d’épicerie (566 millions d’euros), les produits laitiers (262,2 millions d’euros) et les produits de boulangerie, viennoiserie et pâtisserie (220 millions d’euros).
Répercussions sur les prix et baisse des ventes
« On a déjà vécu des droits de douane sur nos produits. Nos biscottes expédiées aux États-Unis ont été taxées à 100 % en arrivant sur leur territoire », se rappelle Stéphane Reveilliere, responsable logistique internationale chez Brioche Pasquier, intervenu en table ronde au cours de la journée. Si le groupe a une filiale aux États-Unis, basée à Richmond en Californie, il y exporte également des produits depuis la France.
La hausse des droits de douane « aurait un impact important » pour l’entreprise française, estime Stéphane Reveillere. « Comme pendant le Covid, avec l’augmentation du coût du transport, il y aurait des répercussions du prix chez les prestataires comme chez les clients, entraînant une baisse des ventes. »
Outre les droits de douane, le groupe Brioche Pasquier connaît actuellement « une expérience un peu compliquée » pour exporter ses produits vers les États-Unis, en raison de la fièvre aphteuse. « Les Américains nous ont dit, « il y a du lait dans vos produits, potentiellement européen, qui peut venir d’Allemagne. Vos produits doivent être soumis à déclaration vétérinaire ou justifier du fait qu’ils ne contiennent pas de lait allemand dans vos produits », rapporte Stéphane Reveillere, qui a témoigné combien il avait été difficile d’obtenir des informations précises sur la marche à suivre.
Un point qui ne pose, au contraire, aucun problème : la décarbonation. « Nos destinataires aux États-Unis étaient plus sensibles au verdissement avant que maintenant, estime Stéphane Reveillere. Walmart [enseigne de grande distribution aux États-Unis] nous demandait de rentrer dans leur cahier des charges, maintenant ils ne s’en occupent plus. »
Fabriquer aux États-Unis les produits français
Le groupe Savencia exporte, lui, des « marques françaises fortes », bien présentes sur le marché américain, et a également des activités de production sur place. « Ce sont des marques locales qui produisent pour le marché local », explique Soutima Buffin, en charge des achats pour la supply chains du groupe.
Face à la menace de guerre commerciale, Savencia « se prépare », décrit cette dernière. « Pour tout ce qui part de France, nous commençons à construire des stocks tampons et à planifier la partie “discussions commerciales” sur les impacts sur les prix, expose-t-elle. Si jamais [les prix deviennent] hors de contrôle, nous avons un plan, où nous avons la capacité de produire ce qu’on fait en France avec notre équipement en local. Ce sera forcément différent : on ne va pas importer du lait pour faire du fromage aux États-Unis. Ce n’est pas la volonté du groupe, mais nous y pensons. »
L’Union européenne, « bonne pour des droits de douane »
Avec sa stratégie « Make America great again » (« Rendre sa grandeur à l’Amérique »), Donald Trump « agite une menace protectionniste pour promouvoir les intérêts des États-Unis », analyse Jean-Christophe Debar, consultant chez Agri US Analyse. Ces intérêts sont tant sur les plans économiques, avec notamment l’enjeu de réduire le déficit commercial « important et structurel », migratoire et sécuritaire (lutte contre l’importation de drogue) ou encore géopolitique (affaiblir la Chine, endiguer la Russie et les Brics…).
« Pendant sa campagne, Donald Trump laissait entendre qu’il instaurerait un tarif uniforme de 20 % sur tous les produits importés, quel que soit le pays d’origine. Depuis son investiture, il s’agit plutôt d’exercer ces menaces au cas par cas », les États-Unis n’étant « pas encore prêts » à une surtaxe généralisée, ajoute le spécialiste. Dès le 1er février 2025, les produits du Mexique et du Canada devraient par exemple subir une hausse du tarif de 25 %.
« Pour la Chine, cela varie de 10 à 100 %, selon que Pékin refuse de vendre Tik tok à une compagnie à une compagnie américaine, et d’autres arguments, explique Jean-Christophe Debar. Pour l’Union européenne, des droits de douane supplémentaires seraient imposés si les Européens n’achètent pas suffisamment de pétrole et de gaz, a annoncé Donald Trump le 20 janvier 2025. Le lendemain, il considérait que l’Union européenne “nous traite très mal. Ils ne prennent pas nos voitures ou nos produits agricoles. […] Donc ils sont bons pour des droits de douane”. »
Guerre commerciale : une stratégie « à hauts risques », notamment pour les agriculteurs américains
Pour Jean-Christophe Debar, la présidence américaine « s’engage dans une stratégie à hauts risques pour tout le monde, y compris les États-Unis. » Pour les agriculteurs américains, le danger d’une guerre commerciale est surtout le risque de mesures de rétorsion frappant les exportations agricoles. « Le Canada et le Mexique représentent chacun 17 % des exportations agricoles américaines, l’Union européenne 7 %. Tout additionné, c’est une importante part des exportations américaines qui est en danger de mesures de rétorsion. »
En 2017, la guerre commerciale lancée par Trump contre la Chine s’était ainsi en partie retournée contre les agriculteurs américains dont les exploitations ont été touchées par les mesures de rétorsions chinoises (sur les exports de soja notamment). « Les farmers avaient bénéficié d’aides compensatrices. On pourrait s’attendre à la même chose si ça venait à recommencer. »
Le gouvernement américain « sous-estime toutefois un élément dans l’équation : sa réputation à moyen et long terme de rester des fournisseurs fiables en dehors de toute considération politique. Il se joue une carte dont le gouvernement américain fait peu de cas », considère le spécialiste. Pour lui, le monde est rentré dans « une nouvelle ère de fragmentation très forte des relations internationales ». En témoignent les décrets de Donald Trump qui traduisent l’abandon affirmé de toute coopération international, dont les accords de Paris.
« Cela met en danger politiquement l’Union européenne, déjà pas en grande forme, insiste Jean-Christophe Debar. L’un des grands défis pour l’avenir sera de sauver autant que possible, au moins pour les quatre ans à venir, ce qui reste de l’organisation mondiale du commerce. »
(1) Réalisé par Business France en partenariat avec le ministère de l’Agriculture