Avec des stocks élevés pour la plupart des céréales et oléagineux à la fin de la campagne dans l’Union européenne, et un printemps plutôt favorable à un bon développement des cultures d’hiver et aux semis de printemps, les prix continuent de baisser en France. Le rebond du pétrole n’a guère de prise et n’a pas permis d’inverser la vapeur.
Les blés européens pâtissent d’un manque de compétitivité
Les prix du blé rendu Rouen ont cédé 1 € la tonne au cours de la semaine, à 241,5 €/t. Les prix français ont peu évolué, sous l’influence d’éléments haussiers et baissiers qui se confrontent. FranceAgriMer a relevé cette semaine le pourcentage de blé dans un état jugé bon à excellent, d’un point, à 94 %. Le cycle cultural se poursuit sous de bons auspices à la faveur de pluies régulières.
Les ports français continuent leurs chargements vers l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne, même si la demande est un peu moins présente et variée qu’il y a quelques mois. Les grèves dans certains ports français, dans le cadre de la réforme des retraites, ont parfois ralenti les chargements des bateaux, sans pour autant avoir grandement perturbé la logistique.
Sur le Matif, les prix ont perdu 4 €/t sur l’échéance de mai et 5 €/t sur l’échéance de septembre à 247 €/t. Les deux échéances sont quasi à parité. Contrairement au prix en euro, le Fob Rouen en dollar s’est renchéri de 3 $/t, à 282 $/t, car l’euro continue de se renchérir face au dollar. L’euro est désormais à son plus haut niveau depuis un an. Cette configuration pénalise la compétitivité des blés européens par rapport à ces derniers mois, même si la parité est tout de même proche de la moyenne de ces cinq dernières années.
La France n‘est pas la seule à subir ce désavantage. C’est également le cas des autres partenaires européens. La Pologne, la Roumanie et la Bulgarie accumulent les difficultés puisque les exportations de ces pays sont décevantes depuis le début de la campagne. La concurrence des importations d’Ukraine a considérablement freiné les flux de ces pays. La logistique, tout comme la compétitivité, a été mise à mal.
La Pologne et l’Ukraine ont d’ailleurs conclu un accord bilatéral le 7 avril dernier, pour suspendre les exportations de céréales et oléagineux de l’Ukraine vers la Pologne. Seul le transit pour réexportation vers d’autres pays sera autorisé. Actuellement, les stocks sont extrêmement élevés en Pologne et le ministre de l’Agriculture a annoncé vouloir exporter 3 à 4 millions de tonnes de grains d’ici à la fin de juin, dans le but de libérer des capacités de stockage en vue de la prochaine récolte. Le 13 avril, la Slovaquie a annoncé par la voix de son ministre de l’Agriculture interdire jusqu’à nouvel ordre les importations de produits céréaliers et de grains en provenance de l’Ukraine.
Les menaces russes persistent
Du côté des éléments haussiers, la Russie menace de nouveau de se retirer de l’accord sur les exportations de grains au départ des ports ukrainiens. Moscou estime que ses exportations de grains et de fertilisants sont trop entravées par les sanctions occidentales à son encontre. La Russie souhaite, entre autres, la reconnexion de la Banque agricole russe au système de paiement Swift. L’accord âprement négocié pour soixante jours, la Russie n’ayant pas validé la période de cent vingt jours comme cela était le cas en 2022, prendra fin le 18 mai 2023.
Le blé russe s’est maintenu cette semaine à 276 $/t. Aux USA, les prix du SRW et du HRW se sont contractés de 8 $/t, à respectivement 277 $/t et 375 $/t. Cette baisse des prix intervient alors que les conditions sont toujours très mauvaises pour les blés d’hiver en raison de l’hiver très sec, et alors que les semis des blés de printemps sont un peu en retard. Les précipitations et chutes de neige par endroits ont en effet ralenti les travaux des champs. Au 9 avril, 1 % des surfaces de blé de printemps étaient semées aux USA, soit 3 points de moins que la moyenne quinquennale. À ce stade, l’inquiétude est tout de même à relativiser car le cycle des cultures ne fait que commencer.
Les prix du maïs français continuent de baisser
Les prix des maïs français ont continué leur baisse amorcée depuis le début du mois. Le maïs Fob Bordeaux a perdu 11,5 €/t, à 244 €/t sur la semaine. Le maïs Fob Rhin a, quant à lui, baissé de 5 €/t pour s’afficher à 229 €/t.
Les prix sur le marché français ont évolué sous l’influence de deux facteurs. D’une part, les prix des maïs ukrainiens ont baissé, avec la baisse de la capacité de l’Ukraine à exporter vers l’Union européenne, faisant suite aux décisions de la Pologne et de la Slovaquie. D’autre part, l’euro s’est renchéri face au dollar. Sur la scène internationale, les prix des origines brésiliennes et américaines sont repartis à la hausse.
En France, les semis de la récolte de maïs de 2023 étaient réalisés à hauteur de 12 % au 10 avril. Le rythme de progression des emblavements est dans la moyenne observée ces dernières années.
En Amérique du Sud, la production de maïs argentin est toujours prévue en fort déclin tandis que la récolte est en cours. Par ailleurs, la Bourse de Rosario a de nouveau abaissé son estimation de production à 32 millions de tonnes (Mt). Au Brésil, le Conab vient de relever son estimation de production à 124,8 Mt, et ce, malgré le retard des semis dans certains États producteurs. La production brésilienne est attendue à un niveau record cette campagne.
Du côté ukrainien, les récentes annonces de la Russie sur son intention d’arrêter sa participation dans l’accord sur le corridor maritime contribuent à affecter le marché dans cette partie du monde. En cas de non-reconduction du corridor maritime le 18 mai prochain, il reste à voir si les maïs ukrainiens pourraient continuer à arriver dans l’est de l'Union européenne via les voies terrestres et fluviales, les gouvernements de plusieurs pays de cette région voulant limiter l’arrivée des maïs ukrainiens sur leurs marchés.
Nouvelle baisse des prix du colza
La pression exercée par stocks élevés sur le marché continue à pousser les prix du colza à la baisse. Une tendance que rien ne semble pouvoir inverser pour le moment.
En effet, le marché européen est toujours surapprovisionné sous l’effet d’importations records. Au 9 avril, l’Union européenne avait déjà importé près de 6,4 Mt de colza depuis le début de la campagne, contre seulement 5,5 Mt de graines importées sur la totalité de la campagne de 2021-2022, et 6,5 Mt sur 2020-2021. Cela devrait engendrer des stocks de report conséquent sur la prochaine campagne, notamment dans les pays frontaliers à l’Ukraine. En Roumanie, les agriculteurs manifestent face l’afflux massif des céréales et des oléagineux, qui pèse sur les prix locaux. Les récentes décisions de la Pologne et de la Slovaquie ne devraient de plus guère changer le panorama — très excédentaire — qui s’annonce dans l’est de l’Union européenne pour le marché du colza.
Cette semaine, les prix du colza de la récolte 2022 ont continué à régresser — de 18 €/t — s’établissant ainsi à 413 €/t rendu Rouen et 443 €/t en Fob Moselle. Ces niveaux de prix, au plus bas depuis plus de deux ans, souligne l’abondance de l’offre en graine et en huile de colza en Europe sur la campagne, tandis que la prochaine récolte s’annonce prometteuse. En effet les pluies récentes ont été bénéfiques au développement des cultures.
Cette semaine, les prix ont également diminué sous la pression de la remontée de l’euro face au dollar, affectant la compétitivité des graines européennes à l’exportation. Par ailleurs, les prix de l’huile de colza ont continué à baisser face à une offre abondante, tandis que la demande du secteur biodiesel s’essouffle avec l’arrivée du printemps et la remontée des températures.
Enfin, les prix de l’huile de palme ont également régressé en raison d’un ralentissement des exportations malaisiennes au début d'avril, alors que les perspectives de production semblent s’améliorer. Cela a aussi tiré le prix de l’huile et des graines de colza à la baisse.
Néanmoins, les prix de colza de la nouvelle récolte se sont stabilisés : ils sont désormais à 441 €/t rendu Rouen pour des livraisons juillet (+2 €/t sur la semaine). Cela découle d’une bonne demande des triturateurs sur le début de campagne, due à des marges industrielles rémunératrices. Le petit rebond du prix du soja à Chicago et du canola au Canada a aussi contribué à cette petite hausse des cours. Cela reflète une récolte argentine de soja encore moins bonne que prévu et un rebond du cours de l’or noir.
Le tourteau rebondit un peu
Après plusieurs semaines de baisse des prix, liés d’une part à la récolte record de soja du Brésil et d’autre part aux perspectives économiques mondiales moroses, et peu encourageantes pour la consommation de viandes et produits laitiers, le tourteau voit son prix se stabiliser sur le rapproché. Il est coté à 539 €/t à Montoir-de-Bretagne (+1 €/t en une semaine). Il a même rebondi sur les échéances plus éloignées, notamment sur juillet (+6 €/t, à 517 €/t).
Cela découle d’une nouvelle révision en baisse de la production argentine de soja par la Bourse de commerce de Rosario, à seulement 23 Mt. En effet, les rendements des premiers champs récoltés sont en dessous des attentes. Près de 7 % des sojas argentins ont déjà été récoltés, et les rendements sont inférieurs à 1,9 t/ha, un plus bas niveau depuis 15 ans. Un record de 3,5 millions d’hectares aurait été perdu en raison de la sécheresse et des températures extrêmes.
Par ailleurs, en début de semaine, le département de l’Agriculture américain a publié son rapport mensuel, dans lequel la production mondiale de soja a été revue en forte baisse, là aussi pour prendre en compte les mauvaises conditions climatiques en Argentine. Le prix du tourteau de soja a par conséquent grimpé de 10 $/t en une semaine sur le rapproché à Chicago, et de 14 $/t Fob Argentine.
Enfin, le rebond du prix du pétrole a aussi soutenu le cours du tourteau de soja en France. Toutefois, la hausse de prix a été atténuée par le renforcement de la parité euro/dollar.
Dans l’Union européenne et en mer Noire, les semis de soja démarrent tout juste. Des records de surface sont attendus pour cette culture en raison de la bonne rentabilité du soja par rapport aux autres cultures, due en partie à son moindre besoin en intrants. Pour l’instant, les conditions sont plutôt favorables à ces semis de printemps.
Aux États-Unis, les semis de soja vont très bientôt démarrer. Le mois d’avril s’annonce pour le moment plus sec que la normale dans une grande partie de la Soybelt. Les conditions de semis des sojas américains sur les prochaines semaines seront suivies de près par le marché. Elles pourraient affecter les prix des tourteaux dans l’Union européenne.
À suivre : corridor maritime en Ukraine, prix du pétrole, sanctions envers la Russie, situation économique mondiale, climat en Amérique du Nord (semis de blé de printemps, de maïs, soja et de canola), en Europe (toutes cultures), évolution de la politique biocarburants de l’Allemagne.