«Le colza est en terre durant onze mois, il est donc soumis à de nombreuses contraintes », rappelle Marie-Aude Vanhersecke, sélectionneur colza chez KWS. Des contraintes qui se déclinent en autant de critères de sélection. « Jamais, dans l’histoire du colza, on a eu une telle pression sur les épaules », lançait, en octobre dernier, Jean-Pierre Despeghel, ancien directeur de la sélection colza chez Dekalb, lors des quarante ans de Promosol (1). Productivité, tolérance à l’égrenage, résistance aux bioagresseurs, meilleure efficience à l’azote, qualité de l’huile, teneur en protéines… : toute la filière est à la recherche du colza parfait.

Rendement régulier

« Si la productivité est un préalable, nous visons surtout un rendement qui progresse à intrants maîtrisés, rappelle Jean-Éric Dheu, directeur du programme Ouest Europe colza chez Limagrain Europe. Et qui soit stable dans le temps. » Il existe, en effet, beaucoup de variabilité interannuelle. Grâce à des modèles statistiques complexes, les semenciers recherchent une meilleure adaptation de leur génétique à des conditions agroclimatiques différentes.

La résistance aux maladies est l’autre pilier de la sélection. Certaines sont déjà bien explorées, comme le phoma pour lequel il existe des résistances spécifiques. Mais il faut être vigilant car il y a des contournements, avec le risque de se laisser déborder. Sont donc recherchés de nouveaux types de résistances au champignon. Sclérotinia, cylindrosporiose, verticillium… sont également travaillés dans les schémas de sélection, pour avoir du matériel génétique disposant d’un niveau de résistance plus marqué que celui des variétés actuelles. De même pour la hernie des crucifères ou l’orobanche, pour des marchés plus régionaux. Depuis 2017, des variétés partiellement résistantes au virus TuYV transmis par le puceron vert du pêcher ont fait leur apparition sur le marché français, commercialisées par Advanta (marque du groupe Limagrain) (2).

La pression toujours plus importante des insectes et les difficultés de les contrôler préoccupent également. Les automnes chauds sont plus nombreux, avec un hiver qui arrive souvent tard. Ce qui a un impact sur les populations, les grosses altises en particulier. Parallèlement, on observe une moindre efficacité des traitements et une réduction des apports du fait du contexte réglementaire.

Projets collaboratifs

La solution pourrait donc venir de la génétique. Les recherches passent pour l’instant par des projets collaboratifs, via par exemple le GIE Procolza ou Promosol. « Pour ce type de cible, il ne faut pas y aller en ordre dispersé », s’accordent à dire les semenciers. C’est un domaine énorme, encore très peu travaillé car il existait jusqu’alors des moyens chimiques. « C’est très compliqué et il y a peu de solutions évidentes, développe Jean-Éric Dheu. On part de zéro mais c’est un sujet en pleine ébullition. » Tout est encore très prospectif mais, d’avis d’expert, c’est un enjeu majeur dans les quinze années à venir.

L’idéal serait, en criblant les ressources génétiques existantes en colza, de tomber sur un type de résistance totale, comme c’est le cas pour la cécidomyie du blé. « On aura du mal à trouver des résistances dans les colzas actuels », juge toutefois Jean-Éric Dheu. Mais d’autres angles d’attaques existent, comme aller chercher ce caractère dans du matériel apparenté au colza tels le chou et la navette. La résistance aux insectes peut provenir de plusieurs mécanismes : via la fabrication de composés chimiques de dégradation ayant un effet délétère sur les larves, ou de composés volatils puissants qui font que l’insecte adulte n’est pas attiré vers la plante ; ou via des caractéristiques de surfaces foliaires particulières.

Toutefois, certaines variétés passent déjà mieux au travers des dégâts d’insectes, notamment celles qui ont une bonne vigueur au départ. « Nous travaillons maintenant ce critère. L’objectif est que la plante couvre plus vite le sol et tolère mieux les attaques d’insectes », souligne Marie-Aude Vanhersecke.

Équilibre huile-protéines

La teneur en protéines , ainsi que leur qualité, est l’autre critère de sélection dont l’importance croît. Les interrogations qui se posent sur les débouchés de l’huile dans les biocarburants, face à l’importation d’huile de palme, et les évolutions réglementaires en cours au niveau européen sur les taux d’incorporation dans les transports mettent en lumière la nécessité de donner de la valeur au colza à travers son tourteau. « Si demain, l’huile est moins valorisée, l’espèce risque d’être moins rentable et moins utilisée par les agriculteurs, estime Sébastien Chatre, coordinateur R&D oléoprotéagineux chez RAGT 2n. Mais l’idée n’est pas de transformer le colza en protéagineux ! » Il existe déjà de la variabilité génétique sur le caractère « protéines » et, en triant le flux variétal sur ce critère, cela permettrait d’extraire les colzas les plus riches, sans obligation de chercher un gène de teneur en protéines.

Des projets commencent donc à émerger, avec pour objectif d’augmenter la teneur en protéines dans les graines (de 19 % actuellement à plus de 22 %), pour des usages en alimentation animale et humaine. Tout en conservant une teneur en huile acceptable et en réduisant parallèlement la fraction fibre, souvent limitante d’une valorisation maximale des protéines, notamment chez les animaux. Là encore les travaux sont très prospectifs et menés de manière collaborative.

C’est le cas de Seedprot, qui vise à mieux connaître les fractions protéiques du colza, leur déterminisme génétique et leur variabilité. Les principales protéines de réserve de la graine de colza sont les cruciférines et les napines. « L’analyse de la composition des protéines de plus de 100 variétés anciennes et modernes semble confirmer la réduction de la teneur en napines (fraction a priori plus équilibrée en acides aminés) au profit de la fraction cruciférine en lien avec l’abaissement de la teneur en glucosinolates », développe Terres Inovia.

L’enjeu est de réussir à modifier ces équilibres. Un appel à projet a été lancé en mars dernier dans le cadre de Promosol sur cette thématique. Il est notamment demandé des travaux sur les effets de l’environnement, de la conduite et de la génétique sur la teneur des protéines du colza, afin d’en améliorer la maîtrise au champ.

(1) Association de promotion de la sélection des plantes oléagineuses, fédérant les initiatives publiques et privées.

(2) Lire La France agricole du 2 juin 2017, p. 33.