C’était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Le président de la république a réaffirmé son souhait à Rungis, le 11 octobre : « J’ai pris un engagement, c’est de séparer le conseil de la vente. Sur beaucoup de produits phytosanitaires, il y a encore une vente liée, qui fait que le conseil n’est pas indépendant. » Le 21 décembre, Édouard Philippe l’a confirmé en clôture des États généraux de l’alimentation. Les activités de conseil et de vente des pesticides seront bien séparées. Une ordonnance devrait être prise en ce sens par le gouvernement au premier semestre 2018. Le but : favoriser la réduction de l’utilisation des produits phyto. Cette mesure s’ajoutera à celles déjà prévues dans un plan de réduction évoqué par le gouvernement (lire encadré) afin de préserver davantage la santé de tous et l’environnement.

Beaucoup d’inconnues persistent encore sur la mise en place de cette scission. Et pour la distribution, que ce soit les coopératives ou les négoces, cette perspective inquiète. « A-t-on vraiment bien mesuré toutes les conséquences de cette séparation ? », se demandait Michel Prugue, le président de Coop de France lors du congrès des coops le 20 décembre, à la veille de la clôture des États généraux de l’alimentation. « Les agriculteurs sont réunis en coopératives, en premier lieu pour le conseil, dont nous ne nous séparerons jamais car il est constitutif de notre raison d’être. » Olivier de Bohan, vice-président, a appuyé ce propos en précisant que « la majorité des coopératives feront le choix du conseil plutôt que de la vente ». Car le ministère de l’Agriculture l’a précisé, la séparation du conseil et de la vente des phytos sera « capitalistique ». C’est-à-dire que les deux activités ne pourront plus être proposées par la même entreprise. Mais une coopérative pourra peut-être créer une filiale spécialisée dans le conseil (ou la vente), du moment qu’elles n’ont pas les mêmes capitaux. Cette possibilité est à confirmer par le gouvernement.

Reste ensuite à savoir si le conseil lié à la vente deviendra obligatoire. Comme ce qu’on connaît aujourd’hui avec les médecins et les pharmaciens, on peut imaginer que la vente de produits ne se fasse que sur présentation d’une « ordonnance » délivrée par un conseil indépendant et agréé. « Dans ce cas, les conseillers pourraient être agréés avec un objectif de baisse de préconisation de phytos qui serait contrôlé », spécule Jean-Marie Séronie, agroéconomiste.

Le e-commerce boosté

Une chose est sûre, le paysage du conseil et de la vente va changer. À chacun de se positionner sur ces marchés qui s’ouvrent, et surtout à chaque agriculteur de choisir son fournisseur. Sur celui du conseil, les conseillers indépendants, les chambres d’agriculture et pourquoi pas les centres de gestion ont une place à prendre. Pour Jean-Marie Séronie, « s’ils s’en donnent les moyens, les coops et négoces ont devant eux un boulevard dans le conseil. Mais aujourd’hui, pour le même service, un agriculteur est prêt à payer 0 à la coop, 10 à la chambre, 50 au CER et 80 à un indépendant, c’est historique ».

Sur le marché de la vente, le e-commerce devrait être largement boosté. Outre les sites dédiés (Meshectares, Agriconomie, Comparateur agricole…), certains distributeurs pourraient aussi développer leurs ventes en ligne.

La mise en concurrence de plusieurs entités d’une part, et la séparation en elle-même de la vente et du conseil d’autre part, devraient entraîner une plus grande transparence sur le prix des phytos. Ce qui devrait bénéficier aux agriculteurs. Séparer conseil et vente obligera à « identifier une prestation de conseil et à lui donner une valeur facturée qui sera plus ou moins déduite du prix du produit », appuie Jean-Marie Séronie.

près de 10 % d’économie

« Aujourd’hui, lorsqu’un distributeur achète un produit 100 €, il le revend en moyenne entre 128 et 135 € à l’agriculteur, explique Jean-Nicolas Simon, consultant. La différence englobe les coûts de logistique, de fonctionnement, le conseil, la marge… En enlevant le conseil et en réduisant les coûts pour gagner en compétitivité face aux concurrents de plus en plus présents, le prix de vente à l’agriculteur pourrait être ramené entre 118 et 125 €, soit une économie de près de 10 %. » Et pour rester dans la course, les coops et négoces devront forcément faire preuve de plus de souplesse. Surtout, elles devront s’aligner sur le niveau de services des sites internet de vente d’intrants : disponibilité du produit, rapidité de livraison, engagement de reprise, stockage de consignation, possibilités différentes de paiement… « La distribution devra réduire ses coûts, avec de potentiels plans sociaux à la clé, adapter ses services et renouveler son offre si elle veut vivre », insiste Jean-Nicolas Simon.

Mais n’oublions pas l’objectif d’une telle révolution : la réduction de l’usage des phytos. Et pour beaucoup, cela passe forcément par un engagement de tous les acteurs : distribution, entreprises de conseils et agriculteurs. Pour Jean-Nicolas Simon, la séparation de la vente et du conseil pourrait induire la naissance d’un « conseil agroécologique qui viserait la réduction de l’utilisation des phytos. Un objectif de baisse serait fixé pour chaque agriculteur et serait contrôlé par un organisme agréé par l’État, par exemple un conseiller de chambre d’agriculture. C’est ce que demandent les coops et négoces afin de conserver, de leur côté, le suivi au champ et la prescription du produit. »

Pour Bertrand Omon, conseiller à la chambre d’agriculture de l’Eure, la baisse de l’usage des phytos ne sera réelle que si « les vendeurs de produits, les conseillers et les agriculteurs ont les mêmes objectifs de réduction avec un calendrier précis. Il faut rendre tout le monde dépendant à la réduction des phytos. Si personne ne se lance vraiment, le gouvernement continuera à retirer du marché certaines molécules pivot de certains systèmes, comme le glyphosate, pour obliger à changer les modes de production. »