Le maïs est en « chute libre », le soja mal en point : la guerre commerciale lancée par le président américain Donald Trump a semé un « vent de panique » sur les marchés agricoles mondiaux.
« Pour l’instant, ce que nous voyons, c’est la peur, une vente émotionnelle » qui secoue les marchés agricoles, a déclaré à l’AFP Arlan Suderman, de la plateforme de courtage StoneX Financial. « Les fonds d’investissement, qui avaient beaucoup misé sur le maïs, liquident leurs positions », accentuant jour après jour la baisse des cours. « C’est la chute libre » jusqu’en Europe, résume Sébastien Poncelet, spécialiste des céréales chez Argus Media France.
Chute du maïs, blé et soja
En dix jours, le maïs, de loin la céréale américaine la plus exportée, a perdu plus de 11 % à la Bourse de Chicago, tombant mardi 4 mars 2025 au soir à 4,36 dollars le boisseau (environ 25 kg), soit son plus bas niveau depuis la mi-décembre. Sur la même période, le blé plongeait de 12 %, à 5,9 dollars, tandis que le soja reculait de plus de 5 %, passant sous la barre symbolique des 10 dollars, au plus bas depuis janvier.
En Europe, le reflux le plus marqué était mercredi 5 mars, celui du colza, « victime collatérale » de la situation du canola (colza OGM) canadien, selon Sébastien Poncelet. La très grande majorité de l’huile de canola canadienne est exportée vers les États-Unis, pour son industrie du biodiesel. Une baisse de ce débouché ferait gonfler le stock canadien de graines, qui pourraient trouver un débouché en Europe et concurrencer le colza local.
Nouvelles barrières douanières sur le Mexique et le Canada
Ce mouvement s’explique par la dernière séquence politique américaine, rythmée par des menaces, hésitations et finalement la confirmation de l’imposition de nouvelles barrières douanières. Les importations en provenance du Canada et du Mexique sont désormais taxées à hauteur de 25 %, les produits chinois frappés par des droits de douane additionnels de 20 %, et ceux en provenance de l’Union européenne devraient l’être à 25 % au début d'avril.
Le Canada a répliqué mardi par la mise en place « immédiate » de droits de douane ciblés de 25 %, notamment sur les viandes, œufs et vins américains, Pékin annonçant de son côté des taxes de 10 et 15 % sur une série de produits agricoles allant du poulet au soja.
Les États-Unis visent leurs principaux clients : le Mexique, qui a acheté en 2024 pour 5,6 milliards de dollars de maïs, soit à lui seul 40 % des exportations américaines de grain jaune ; et la Chine, qui a acquis près de 13 milliards de dollars de soja, soit plus de la moitié des exportations américaines de la graine oléagineuse l’an dernier.
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La Chine va privilégier l’origine brésilienne
Concernant la Chine, Arlan Suderman estime que la situation ne changera guère à court terme : les achats de soja américain par Pékin avaient déjà ralenti et c’est la graine brésilienne, tout juste récoltée et moins chère, qui sera privilégiée dans les achats chinois « pour les six à huit prochains mois ». Pour Dewey Strickler, d’Ag Watch Market Advisors, les surtaxes annoncées par Pékin sur le soja américain sont avant tout « un outil pour essayer d’entamer des négociations ».
La situation sera plus compliquée pour le Mexique et le Canada, qui pourraient — comme les États-Unis — voir cette crise favoriser l’inflation chez eux.
Vers une réorganisation des flux mondiaux ?
Ce cycle de mesures et contre-mesures a un caractère inédit : contrairement à 2018, sous le premier mandat de Trump, où le conflit commercial ne concernait que Washington et Pékin, « cette fois, c’est généralisé » et cela nourrit « l’incertitude » quant à une éventuelle future réorganisation des flux mondiaux, remarque Damien Vercambre, du cabinet Inter-Courtage.
Le 3 mars, Donald Trump a invité les « grands agriculteurs des États-Unis » à « produire beaucoup plus de produits agricoles pour les vendre à l’intérieur des États-Unis ». Mais « quand on est la première puissance exportatrice agricole de matières premières agricoles au monde, le marché intérieur ne peut absorber les surplus », relève Sébastien Poncelet. De même, « le farmer américain de la Corn belt de l’Iowa ne va pas d’un coup transformer son champ de maïs en champ de pommes de terre pour faire davantage de frites à donner aux citoyens américains ».
S’il peut y avoir « des ajustements », le Midwest reste plus adapté à la culture du maïs et du soja, abonde Arlan Suderman. En attendant un rééquilibrage du marché, ajoute-t-il, les cours sont descendus si bas « que les agriculteurs ont très peu d’intérêt à vendre à ces niveaux ». Et les acheteurs éventuels se font attendre sur la scène internationale.