Les révoltes liées au prix du pain sont vieilles comme le monde. Il y en eut à Rome, sous l’Ancien Régime, au XIX° siècle et récemment, en Afrique (Tunisie en 1984, Soudan en 2018). L’émeute frumentaire révèle une crise plus profonde. D’ailleurs, on poursuit les boulangers comme les agents des impôts. Même si sa consommation a chuté (750 g/j en 1914-1918), le pain est plus qu’un aliment, c’est « un élément du pacte entre le peuple et l’État ».
Tout cela est connu mais avec la grande distribution, le pain est aussi devenu un produit d’appel. Tout le monde connaît le prix de la baguette. Comme le prix de l’essence. Il suffit d’un ou deux centimes de plus que le voisin et l’enseigne est réputée chère. Les prix sur les produits de base donnent l’image du groupe.
Le groupe Leclerc vend les baguettes à 29 centimes. Un joli coup de pub. Tout le monde en parle. Un missionnaire allié des plus démunis ? Un pompier contre la vie chère ? Ou un marchand qui joue l’image… et joue avec le feu.
Les prix alimentaires sont largement déconnectés du prix des produits de base. Le prix paie la caissière, les machines, le publicitaire, le nettoyage, le transport, les actionnaires, le négociateur qui a réussi à presser le citron du producteur au maximum, etc. Ces postes peuvent être momentanément oubliés. « Venez chez moi, c’est trois fois moins cher qu’en ville. » Sous-entendu : les boulangers s’en mettent plein les fouilles. A-t-on idée de leur travail ? Quand les groupes se font livrer des produits usinés (congelés ?) à 300 km, l’artisan a 13 opérations sur les pâtons, sans parler de la pâtisserie qui est un travail de magicien.
Mais surtout, grâce à leur réactivité, les boulangers ont réussi le tour de force de rester un commerce de proximité. Sont-ils si nombreux ? La plupart des commerces de bouche ont disparu, à commencer par les charcutiers et bouchers, sous le coup de boutoirs militants. La boulangerie c’est une lumière dans la rue, c’est la sortie quotidienne. Les pompiers pyromanes ne laisseront bientôt que des cendres aux centres-villes.