À deux pas du château du Roi-Soleil, la plaine de Versailles s’étend, aussi riche d’histoire que de biodiversité. La petite faune s’y épanouit, notamment grâce au travail des agriculteurs du groupement d’intérêt cynégétique (GIC) de l’Oisemont. Créé en 2004, et couvrant près de 700 hectares, cette association de chasse se destinait d’abord à « recréer une dynamique autour des perdreaux et des lièvres, tout en gardant le territoire productif », explique Alexandre Flé, son vice-président.
Cohabiter avec les urbains
Haies, jachères, piégeages, bosquets, multiplication des bordures, bandes enherbées à proximité des cours d’eaux… Les nombreux aménagements ont porté leurs fruits. Quand, en 2004, la plaine comptait environ 150 perdreaux, elle en dénombre 1 500 en 2011. « Aujourd’hui, nous sommes plutôt sur un rythme de croisière, à 700 perdreaux », rapporte Alexandre Flé. Une à deux battues ont lieu par an.
La plaine attire également une autre population, celle des riverains qui profitent chaque jour des nombreux chemins de promenade. « Il faut travailler avec la proximité de la ville », confesse Jérôme Regnault, également membre du GIC. Le groupe a peu à peu orienté ses actions vers la communication et l’éducation de la population. Dès 2014, des panneaux saisonniers font leur apparition à chaque entrée du territoire. Leur objectif ? Sensibiliser les promeneurs au métier d’agriculteur et à l’environnement. « Le temps des semis », « Tenons nos chiens en laisse, les animaux ont peu d’abris », indiquent des affiches en automne. « Les animaux sont sans cesse perturbés, explique Alexandre Flé. Ils ont besoin d’espace, de quiétude. Les panneaux sont un moyen de discussion avec les riverains. » Le GIC dispose d’un garde qui, à titre bénévole, sillonne la plaine au quotidien et assure un rôle de surveillance et de pédagogie. « La pression urbaine est forte, d'autant plus depuis le confinement. Les gens ont redécouvert la plaine », constatent les agriculteurs. Fédérés sur les réseaux sociaux, les riverains s’interrogent sur les pratiques agricoles.
Toutes les parcelles du GIC sont en conventionnel. « La plaine reste un espace économique agricole. Le mot “production” ne doit pas être vulgaire dans notre pays », considère Jérôme Regnault. Un message qu’il a fallu faire entendre à l’Administration : les panneaux, financés par des fonds publics, ont vu le jour après trois ans de discussions et un désaccord concernant la photo d’un pulvérisateur sur l’une des affiches. « Nous nous sommes battus pour qu’elle ne soit pas supprimée et remplacée par un semoir à maïs », confie-t-il.
Une étude ornithologique effectuée l’année dernière « a confirmé la bonne santé du territoire ». Pas moins de 70 espèces d’oiseaux ont été recensées en une année, dont 17 vulnérables, voire très vulnérables, comme la linotte mélodieuse. « L’alouette des champs ressort en premier, alors que c’est un symbole du déclin des oiseaux en milieu agricole », résume Alexandre Flé. Une deuxième étude a confirmé les observations : la plaine compte une densité de 40 à 50 couples d’alouettes des champs par 100 ha, quand la moyenne nationale en plaine céréalière est de 25 à 35 couples par 100 ha. « Le nombre de couples était plus élevé à proximité des jachères ou des chemins moins fréquentés », précise-t-il.
Un pari « abeilles » réussi
« Ces résultats sont satisfaisants d’un point de vue personnel et professionnel, mais ils n’évoquent rien aux gens. Les perdrix ne parlent pas, et la chasse parasite le sujet », poursuit Jérôme Regnault. Pour se rapprocher du grand public, le GIC a donc opté pour un indicateur fort, les abeilles. Il se lance, en 2016, dans l’apiculture, non pas pour produire mais pour communiquer. Six ruches font leur apparition dans la plaine, avec quelques inquiétudes au départ. « A l’époque, avec tout ce qu’on entendait dans les médias sur les abeilles, on doutait de nos propres pratiques, avoue Alexandre Flé. Mais c’est aussi un indicateur de vérité : si les abeilles se portent bien, alors nous travaillons bien. »
De nouveaux panneaux « Abeilles » sont installés dès 2017. Le GIC est accompagné par un apiculteur amateur longuement formé, Christopher Sénéchal. « Les agriculteurs ont pris en assurance, observe-t-il. Ils m’appelaient avant de traiter, anxieux de l’impact sur les abeilles. » Aucune mortalité n’a été déplorée, et une excellente production de miel, bien plus du double de la moyenne nationale (environ 20 kg par ruche) selon les années, a rassuré.
Le rucher s’est agrandi, et est équipé de balances connectées qui permettent de suivre l’activité réelles des abeilles. « Nous savons quand elles rentrent et sortent, explique l’apiculteur. C’est un outil de bonnes pratiques : les agriculteurs n’hésitent pas à retarder de quelques heures leurs traitements. » Et les exploitants d’expliquer : « Un important travail de réflexion sur l’alimentation des abeilles a été entrepris. Les ruches ne bougent pas, il faut donc que les fleurs viennent à elles. » Colza, tournesol, cultures porte-graines, luzerne et jachères fleuries sont autant de sources de nectar. Plusieurs hectares de jachères mellifères ont été implantés. « La maitrise du territoire est un gros avantage », affirme Christopher Sénéchal. Il gère aussi le varroa, un acarien parasite des abeilles, « de façon draconienne ». Si le GIC déplore le manque de professionnalisme de certains apiculteurs, il est fier de montrer qu’« agriculture conventionnelle et apiculture sont compatibles ». La preuve en miel.
Justine Papin