Ariane Nicolas s’est lancée dans l’écriture de « L’Imposture antispéciste » (1) pour réagir à la multiplication des publications proches des thèses antispécistes, et plus encore à l’audience grandissante auprès de ses jeunes congénères à cette cause.
Lors d’une conférence du Syrpa (2) le mars 2021, la journaliste rappelait que les antispécistes mènent une lutte politique pour la reconnaissance de droits élargis aux animaux : « Ils ne recherchent pas l’égalité entre homme et animal mais l’équité. » Les antispécistes n’envisagent pas de coexistence pacifique avec les omnivores, mais l’instauration de leur ordre.
Vocabulaire détourné
Pour convaincre le grand public, les antispécistes jouent à fond la carte de détournement d’un vocabulaire imaginé et excessif : « Ils taxent les omnivores de meurtriers, les vaches d’esclaves, l’insémination de viol, la mise à mort de meurtre alimentaire… » En réalisant ce changement de sens, ils exercent une violence de fait sur ceux qui sont stigmatisés.
Autre vocable fréquent : l’insistance sur la « sentience » attribuée aux animaux, mot anglo-saxon complexe pour parler de la sensibilité des animaux. Cela leur permet de leur attribuer des qualités plus humaines, de semer le trouble et de casser la barrière de la différence homme/animal. Ils sont sévères avec les humains vus comme des prédateurs, s’appuyant sur l’idée que « ce qui fait mal, est mal ».
« Ils souffrent de la souffrance des “autres” animaux. Ils en tirent non seulement des conséquences morales ou éthiques, mais surtout des conséquences politiques, poursuit Ariane Nicolas. C’est une idéologie. Même s’ils affirment que les idéologues ce sont les omnivores. » Il y a idéologie quand seule une idée est motrice contrairement à notre société bien plus complexe.
L’arme de l’émotion
Pour agir efficacement, les antispécistes agissent sur des symboles, sur l’émotion : ils fustigent la corrida, même si peu d’animaux y participent, pour marquer les esprits. Ils recherchent le particulier pour l’élargir à tout élevage. Autre constat fait par Ariane Nicolas, ils mettent en avant un comportement vertueux ostentatoire qui devient sur les réseaux une valeur en soi.
Ils profitent aussi de la radicalisation de notre société. Et face à l’émotion, c’est difficile de contre-argumenter ou de redire le contexte, sa complexité. Ils s’allient parfois localement opportunément à la cause écologiste.
« Le parti animaliste a obtenu davantage de voix aux élections européennes que le parti communiste français. D’autres partis ne sont pas insensibles à cet électorat, les écologistes, mais aussi la France insoumise ou l’extrême droite. » Enfin, leur pratique quasi sectaire s’adresse à des individus en quête de sens.
Choisir l’angle d’attaque
Ariane Nicolas encourage à contrer leurs arguments : ce mouvement a peu d’adhérents, mais leur idéologie offensive séduit la jeunesse. Et leur théorie est peu bousculée dans les médias. « L’usage de vocabulaire haineux comme “meurtre alimentaire” pour parler de la viande est calomnieux. Pourquoi ne pas attaquer ces propos diffamatoires ? Les animaux ne sont pas nos frères, même symboliques. Notre communauté politique ne concerne que l’espèce humaine. »
Ariane Nicolas conseille cependant de faire attention aux terrains sur lesquels on s’engage : « Quand on s’interroge sur leur financement, les associations antispécistes renvoient la question à leur auteur : et vous, qui vous finance ? Ensuite, juridiquement, manger de la viande n’est pas un droit opposable. Même pas à la cantine. »
« Sans doute vaudrait-il mieux aller sur la question de la liberté de choisir, souligne Ariane Nicolas. Après tout, être végan ne me dérange pas. Je ne fouille pas dans l’assiette du voisin. Et tous les végans ne sont pas antispécistes. En revanche, être antispéciste réclame d’être végan. Or on n’a pas à imposer un régime végétarien ou végan aux autres. »
Les antispecistes revendiquent de donner la liberté aux animaux. Un argument qui ne tient pas, selon la philosophe, car l’animal n’a pas conscience de ce qu’est la liberté définie par les humains. « L’animal n’est que vivant et non libre. Et il ne se ressent même pas comme être vivant. Il faut avoir une forme d’autonomie pour se donner ses propres lois. »
Lâcher un peu de lest
Ariane Nicolas conseille de lâcher du lest sur certains sujets pour montrer que l’on est sensible aux demandes sociétales de bien-être animal. « Je ne crois pas à l’effet domino d’une interdiction qui en entraînerait une autre. Le narratif est important. Renonçons à quelques pratiques marginales comme la chasse à la glu peu pratiquée, mais symbolique de la souffrance animale pour préserver le droit de chasser. »
« Même si cela peut leur paraître injuste, les agriculteurs qui ont déjà tant fait, ont une pression supplémentaire, celle d’être exemplaires, poursuit-elle. La confiance se détruit plus vite qu’elle se construit. Certaines pratiques dans les élevages intensifs vont évoluer (accès au plein air…). Et n’oublions pas que les Français aiment leur agriculture et leur gastronomie. »
À ce titre, la mise en avant de la viande artificielle par ces mouvements antispécistes devrait interpeller le public : « Quel monde nous prépare-t-on si on imagine que c’est un destin logique d’en arriver là ? »
Soyons aussi attentifs aux alliances politiques, y compris locales. « Le parti animaliste a fait signer des chartes d’engagement aux écologistes lors des élections municipales. » La question de l’animalité prend de l’ampleur. « C’est difficile de contester ceux qui se disent du côté du bien », conclut Ariane Nicolas, pas découragée pour autant.
(1) « L’imposture antispéciste » (Editions Desclée De Brouwer) par Ariane Nicolas.
(2) Le Syrpa est l’Observatoire des métiers de la communication en agriculture.